Energiewende : bientôt un tournant ?

Avec un coût estimé à 520 milliards d’euros d’ici 2025, une augmentation du simple au double des factures d’électricité pour le ménage moyen à la même date, des fournisseurs confrontés à d’énormes obstacles, une perte de fiabilité du réseau électrique, et des résultats médiocres par rapport aux cibles environnementales originellement fixées, le procédé de transition énergétique allemand (Energiewende) pourrait bien se voir déclaré un fiasco complet.

En 2011, la décision de l’Allemagne de fermer son parc de centrales nucléaires est devenue un élément perturbateur du procédé d’Energiewende (Transition énergétique) déjà en cours. Examinons le développement du projet de sortie du nucléaire, ainsi que ses conséquences les plus importantes, lesquelles ont impacté négativement les cibles initialement fixées par l’Energiewende.

Fin 2010, les 17 réacteurs nucléaires du pays constituaient environ 15% de la puissance installée totale (20,48GW) et fournissait 133 TWh, plus de 25% de l’électricité consommée, avec une clôture prévue d’ici 2036 par la législation. Cependant, à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, le gouvernement allemand a décidé de fermer quasiment immédiatement 8 de ses réacteurs nucléaires (8,41 GW), et d’opérer une fermeture progressive des 9 autres unités avant 2022 (l’une d’elles, Grafenrheinfeld, 1,27 GW, a été fermée en 2015).

D’après les données les plus récentes publiées par le BNetzA (Bundesnetzagentur), l’Agence Fédérale des Réseaux, le programme de fermeture des unités restantes proposé ressemble à ceci :

Comme on peut le constater, supposant que Gundremmingen (1,284 GW) soit retirée du réseau d’ici la fin de l’année, et que l’opération se déroule comme prévu, un total de 9,516 GW sera mis hors service entre 2019 et 2022.

Des coûts très élevés pour les usagers :

Afin de compenser cette réduction « auto-imposée » de la puissance installée, l’Allemagne a lancé un impressionnant déploiement de ressources énergétiques renouvelables, solaire et éolienne, cette dernière au moyen de subventions élevées qui se sont montrées peu viables sur le long terme, et sont une des causes de l’augmentation importante des coûts énergétiques dont les usagers se retrouvent accablés. Un paradoxe complet, pourrait-on penser, vu que l’un des buts principaux de la Directive de Libéralisation du Marché Énergétique de l’UE, et, par conséquent, de l’Energiewende, est de réduire significativement les factures électriques des ménages.

Le tableau ci-dessous nous fournit un visuel bien défini de la distribution des coûts et de l’évolution des prix moyens de l’énergie durant les 10 dernières années pour les ménages utilisant 3500 kWh/an.

NB: mis à jour jusqu’à février 2017

Comme on le voit, les coûts de surcharge associés aux énergies renouvelables augmentent significativement à partir de 2013, et sont l’une des raisons principales d’une augmentation d’environ 12,6% (3,27cents/kWh) des factures des usagers depuis 2012.

NB: la nécessité d’une expansion du réseau de transmission (voir ci-après) affecte également les factures des usagers. Sur le graphique précédent, on observe que les coûts associés aux « frais de connexion » ont augmenté considérablement depuis 2013, élément qui n’est destiné qu’à augmenter dans les années à suivre.

Une perte de la fiabilité de livraison

Cependant, se fier à la génération d’énergie renouvelable pour compenser partiellement la sortie nationale du nucléaire se heurte à deux obstacles principaux : 1) La nature intermittente des générateurs à énergie renouvelable, et 2) les difficultés liées au transport de l’énergie éolienne off-shore, la source d’énergie renouvelable la plus fiable et la plus efficace, depuis le nord du pays où elle est située, jusqu’au sud, peu connecté au reste du pays et lourdement dépendant de l’import d’énergie depuis la Suisse.

C’est pour ces raisons que l’Allemagne a mis en place une série de « systèmes de réserve » afin d’assurer la fiabilité de l’alimentation électrique :

  1. En juillet 2015, après des mois d’âpres négociations, le gouvernement a abandonné sa proposition de taxe sur les centrales à charbon et a résolu que, dans le cadre d’une révision du régime du mécanisme des capacités, environ 2,7 GW de la capacité de production des centrales à lignite (représentant environ 13% de la puissance installée du lignite) serait graduellement transférée à une « réserve de sécurité» (Sicherungsbereitschaft) complètement indépendante de tous autres « systèmes de réserve ». Un tel transfert prendrait place entre 2016 et 2020 par le biais de négociations avec RWE (1,45 GW), Vattenfall (0,93 GW) et Mibrag (0,35 GW). Cette capacité ne serait utilisée qu’en cas de besoin, et serait progressivement mise hors service après quatre ans. Les trois fournisseurs recevraient 230 millions d’euros de compensation par an pendant sept ans, pour un total de 1,6 milliard d’euros. La Commission Européenne a approuvé ces dispositions en mai 2016 dans le cadre de la législation sur les aides d’État. En réalité, plus qu’un « système de réserve », il semble s’agir d’un « accord » visant à compenser les fournisseurs touchés par le procédé de sortie du charbon, ce dernier étant un des autres buts établis par l’Energiewende.
  1. Contrairement à certains pays comme le Royaume-Uni ou la France, qui ont introduit un soi-disant « marché du mécanisme de capacité » afin d’assurer sur le long terme la sécurité de la livraison, l’Allemagne a choisi d’introduire un mécanisme de sécurité qui utilise une « Réserve de Capacité » dont la construction doit commencer en 2017, et qui atteindra sa valeur-cible de 5% de la pointe de consommation annuelle (environ 4,4GW) à partir de 2019. Cette réserve sera fournie par une mise en concurrence par le biais d’appels d’offres. Les centrales électriques qui fournissent cette réserve de capacité sont strictement séparées du reste du marché de l’électricité afin de ne pas l’influencer, et ne sont pas autorisées à retourner sur le marché (« règle de non-retour »). Les procédures d’acquisition et d’utilisation sont réglementées en détail par un système de réserve de capacité nouvellement créé.
  1. Enfin, la « réserve de stabilisation du réseau de transmission» d’Allemagne du sud n’a jusqu’à présent été utilisée qu’en cas de conditions météorologiques extrêmes comme des vents violents. Il est prévu que cette réserve soit complétée par un maximum de 2GW de nouvelles installations de réseaux de réserve dans le sud de l’Allemagne, dont la construction sera également encadrée par une procédure réglementée de mise en concurrence. La capacité à construire sur ce nouveau réseau est indexée sur la quantité de réserve de capacité nécessaire, encore à préciser. Les conditions précises de l’appel d’offres de construction du réseau de capacité sont basées cette année sur une analyse réalisée par les gestionnaires du réseau de transport. Un certain recoupement entre cette réserve de capacité et les réserves du réseau de distribution sera rendu possible par le fait que les installations de réserves du réseau (à l’exception des actifs nouvellement construits qui reçoivent une rémunération fixe pendant 15 ans) peuvent également avoir recours à la réserve de capacité et sont autorisées en cas de succès à basculer sur celle-ci.

Le tableau ci-dessous indique la capacité totale monopolisée par une mise en réserve, selon les données du BNetzA (l’Agence Fédérale des Réseaux) datées du 31 mars 2017.

Menace sur les cibles de réduction de la consommation énergétique primaire et de l’émission de gaz à effet de serre

La nécessité d’utiliser une quantité considérable d’électricité produite par des centrales à charbon et à gaz naturel (existantes comme nouvellement construites) afin de garantir la stabilité du réseau électrique compromet les cibles environnementales de l’Energiewende :

  • Réduction de la consommation énergétique primaire (par rapport à 2008) : -20% d’ici 2020.

Cependant, d’après le rapport d’analyse 2016 du BNetzA, la cible atteinte en 2014 était de -8,3% (1,6%/an, 2008-2014), alors que celle de 2015 était encore moins élevée, à -7,6% (1,3%/an, 2008-2015). Par conséquent, il semble complètement improbable que la cible des -20% soit atteinte d’ici 2020.

  • Réduction des émissions de gaz à effet de serre (par rapport à 1990) : -40% d’ici 2020.

D’après le panel d’experts Agora Energiewende, le total des émissions a été réduit d’environ 28% en 2016, et leurs prévisions les plus réalistes indiquent une réduction de 30-31% d’ici 2020, bien en deçà de la surestimation à 35% récemment annoncée par le gouvernement allemand.

 

Les fournisseurs principaux confrontés à d’énormes obstacles

Bien entendu, la décision de démanteler le parc nucléaire allemand ne s’est pas faite sans controverse. Les fournisseurs affectés ont réclamé avec insistance une compensation sur la base d’une continuation de la taxe sur le nucléaire liée à une extension de permis approuvée en septembre 2010, la dépréciation des centrales, l’annulation de travaux de modernisation déjà commencés, ainsi que les coûts estimés de mise hors service. Avec un total des demandes de compensation atteignant plusieurs milliards d’euros, la cour constitutionnelle de Karlsruhe a donné raison aux opérateurs des centrales, laissant ces derniers négocier un chiffre définitif avec le gouvernement avant le printemps 2018.

Dans ce contexte, on se doit de mentionner qu’un différend concernant la gestion des déchets radioactifs a été résolu en décembre 2016, imposant aux fournisseurs d’énergie nucléaire un paiement de 23,6 milliards d’euros à un fonds de sortie du nucléaire avant 2026, en échange d’un dédouanement de toute responsabilité de l’élimination des déchets ultimes. Cette décision passe au contribuable allemand une proportion potentiellement élevée de la facture, particulièrement en ce qui concerne le traitement à long terme des déchets radioactifs. L’institut allemand pour la recherche économique (DIW) de Berlin estime que la sortie du nucléaire, qui prendra encore plusieurs décennies si l’on inclut les opérations de nettoyage, pourrait coûter jusqu’à 170 milliards d’euros.

CONCLUSION

La décision unilatérale de l’Allemagne de mettre hors service son parc d’énergie nucléaire d’ici 2022 laisse une partie considérable de la production électrique à des actifs renouvelables intermittents qui doivent être soutenus par des centrales à énergies fossiles afin de garantir la stabilité du réseau.

L’une des implications imminentes est le coût incroyablement élevé de l’Energiewende. Le tableau suivant fournit une indication détaillée des coûts effectifs et prévus :

Le résultat de ces coûts considérables est l’augmentation des factures d’électricité des usagers, estimée en moyenne à 20 euros/mois d’ici 2025 (calculs basés sur la consommation moyenne d’un ménage de 4 personnes).

Mais il est tout aussi important de noter que le projet de transition énergétique du pays, pendant un moment vu par d’autres pays comme un modèle à suivre, ne parvient pas à atteindre à court terme (2020) certaines de ses plus importantes cibles environnementales.

Il est à présent évident que l’approche initiale de l’Energiewende a été bien trop ambitieuse. Mais il est plus pertinent de se demander : vers où l’Energiewende se dirige-t-elle maintenant ? En d’autres termes, est-il temps de prendre un peu de recul, avant qu’elle ne devienne guère plus qu’une belle histoire?

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Expérience professionnelle & Education

Diego est diplômé en Sciences Politiques de l’université King’s College (Londres – 2021). Il a débuté sa carrière professionnelle dans une entreprise familiale à Madrid en tant que responsable des opérations. Par la suite, Diego a suivi un double programme en niveau master en Gestion et en Informatique à l’IE Universidad (Madrid – 2022), au cours duquel il a réalisé son stage en informatique dans une startup. En mai 2023, Diego a rejoint l’équipe de HES en tant que stagiaire spécialisé dans la programmation de modèles. Pour son premier projet, il a développé un outil logiciel afin de modéliser l’indisponibilité du parc nucléaire français. Par la suite, Diego a été impliqué dans le développement de nouveaux outils logiciels pour modéliser les courbes de prix, la performance des actifs de production et d’autres sujets liés au secteur énergétique. Depuis janvier 2024, Diego est en contrat indéfini chez HES. 

Diego Marroquín

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Diego Marroquín

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Céline a rejoint l’équipe de Haya Energy Solutions en novembre 2021 en tant que responsable du marketing et de l’administration. Lors de sa première expérience professionnelle, dans le secteur du tourisme, elle exerça en tant que managerdes réseaux sociaux. Chez HES, ses missions participent au développement de notoriété et de visibilité de l’entreprise au niveau européen au travers d’actions commerciales (relations avec le client), marketing de contenu et développement de la stratégie de marque. Céline est également impliquée dans la gestion de la communication de l’entreprise : création et optimisation du site internet (WordPress & Elementor), LinkedIn, envoie de la newsletter mensuelle et organisation de conférences. De plus, Céline est impliquée dans les projets énergétiques avec les clients et agit en tant que coordinatrice de projets ou cheffe de projet. Enfin, elle est en charge de l’administration de l’entreprise (comptabilité, gestion des frais, facturation). 

Formation

Céline est diplômée en LLCER langues espagnole et anglaise à La Sorbonne (France – 2018) et est titulaire d’un Master en gestion de projets et tourisme culturel (Clermont-Ferrand/ Buenos Aires – 2021).     

Céline Haya Sauvage

Responsable Marketing

Céline Sauvage

Conseil en investissement

« La décarbonisation des secteurs de l’énergie et des transports est sans doute aujourd’hui le principal moteur économique de l’industrie. »

Expérience professionnelle

Il a débuté sa carrière dans le génie civil en tant que chef de projet en France, en Martinique et en Australie. Par la suite, il devient directeur général d’une filiale au Venezuela. En 1992, il crée une filale pour Dalkia en Allemagne (chauffage urbain, cogénération et partenariats) et représente Véolia en Thaïlande. En 2000, il a ouvert le bureau commercial d’Endesa en France pour profiter de la libéralisation du marché de détail. A partir de 2006, en tant que responsable du développement chez Endesa France, il a dirigé le plan d’Endesa pour la production à cycle combiné gaz en France et a simultanément développé le portefeuille éolien et photovoltaïque de la Snet. Philippe Boulanger a ensuite travaillé pendant 3 ans au siège d’E.ON pour coordonner les activités de l’entreprise en France. Il a été fortement impliqué dans le projet français de renouvellement de la concession hydroélectrique. En tant que Senior Vice President – Project Director chez Solvay Energy Services d’avril 2012 à février 2014, il était en charge des projets de déploiement H2/Power to gas et d’accès direct au marché européen. Philippe est un expert pour HES depuis 2014.

Formation

Philippe Boulanger est ingénieur diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale des Ponts & Chaussées (France) et possède une expérience combinée de plus de 25 ans en énergie et infrastructures. En plus de l’anglais, M. Boulanger parle couramment le français, l’allemand et l’espagnol.

Philippe Boulanger

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« Le monde est en train de changer. De nouveaux investisseurs accordent une attention particulière au secteur de l’énergie alors que les acteurs historiques adaptent leur position sur le marché. »

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Antonio a commencé sa carrière dans le secteur de l’électricité en 1991 en tant que membre de l’équipe du directeur général de Sevillana de Electricidad (Espagne). En 1997, il a été nommé responsable de la réglementation commerciale chez Endesa Distribución. En 2000, il rejoint le département des fusions et acquisitions d’Endesa Europe. En 2003, il est nommé directeur général d’Endesa Power Trading Ltd (UK). Un an plus tard, il devient responsable de la gestion de l’énergie à la SNET (France). En 2008, il est nommé directeur général de la SNET (France). En 2009, il devient directeur du développement de l’entreprise chez E.ON France. En 2011, il fonde Haya Energy Solutions (HES), un cabinet de conseil axé sur l’optimisation de la gestion énergétique des consommateurs, des producteurs et des fournisseurs de gaz et d’électricité. De 2015 à 2018, Antonio a combiné son activité de conseil chez HES avec la direction générale de 2 sites de production en France (2 CCGT x 410MW), détenus par KKR. Fin 2018, il a rejoint Asterion Industrial Partners, un fonds d’investissement dans les infrastructures, en tant que partenaire opérationnel. Antonio consacre, actuellement, l’essentiel de son temps au portefeuille d’Asterion, tout en conseillant, par l’intermédiaire de HES, des entreprises du secteur de l’énergie en France, en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne. 

Formation

Antonio est diplômé de l’Ecole Supérieure d’Ingénieurs de Séville (Espagne) et est titulaire d’un MBA de Deusto (Espagne). 

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Antonio Haya