Après les frayeurs de l’hiver dernier, avec les limitations imposées par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) au fonctionnement des centrales nucléaires d’EDF (voir notre Newsletter N°5 d’avril 2017), les prix de l’électricité menaient une existence tranquille. Durant toute l’année, les prix ont suivi une augmentation régulière, entraînés par le prix du charbon. Même si cela semble choquant pour un pays où la production électrique à base de charbon représente seulement 1,4%, les prix de l’électricité en France sont fortement corrélés aux prix du charbon (via l’Allemagne qui les influe). Comme nous le disions, tout allait bien jusqu’à ce que l’ASN tire à nouveau le signal d’alarme en août dernier…. Du déjà vu ?
Le 16 août, l’ASN mettait en consultation son projet de décision relatif à la revue des composants fabriqués par l’usine Creusot Forge Areva NP installés sur les réacteurs nucléaires en exploitation. Le projet de décision prescrivait à EDF l’examen de l’ensemble des dossiers de fabrication pour ces éléments. A la suite d’un arrêt pour renouvellement du combustible, EDF devra transmettre à l’ASN le bilan de cette revue et ce, deux mois avant le redémarrage de chacun des réacteurs affectés. L’ASN donnait à EDF jusqu’à la fin de l’année 2018 pour achever l’ensemble de cette revue. Même si ces examens ne devraient entraîner que du travail « papier », donc avec un impact limité sur les opérations de maintenance, la réaction sur les marchés électriques a été notable (+3€/MWh pour l’hiver 2017-2018).
Quelques jours plus tard, le 24 août, l’ASN notifiait qu’EDF avait signalé de nouvelles anomalies dans les dossiers de fabrication des composants au Creusot Forge. Selon EDF, 9 dossiers ont été envoyés à l’ASN, tout en précisant que « l’analyse de ces écarts montre qu’aucun n’est de nature à remettre en question l’aptitude au fonctionnement en toute sûreté des équipements concernés ». Malgré ces communications rassurantes, la nervosité s’est installée sur les marchés, comme l’illustre la courbe de prix BL Cal 2018 (le BL Cal 2018 franchit 40€/MWh).
Quelques semaines plus tard, nouvelle annonce de l’Autorité de Sûreté Nucléaire qui, mercredi 13 septembre, déclare avoir placé la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher) « sous surveillance renforcée ». Le motif invoqué : « la dégradation du niveau de sûreté constatée depuis 2016 ». La centrale sera donc soumise à des contrôles supplémentaires des ingénieurs et techniciens de l’ASN, sans aller pour autant jusqu’à en réclamer l’arrêt. Même si l’événement n’est pas très significatif, la réaction est immédiate sur les marchés : montée des prix de l’électricité pour l’hiver 2017-2018.
Finalement, et il y a fort à parier qu’il ne s’agit pas du dernier de la série : l’ASN vient d’exiger, le 28 septembre, l’arrêt immédiat de Tricastin (4x900MW), en arguant d’un risque d’inondation en cas de rupture de la digne du canal de Donzère-Mondragon : affolement des marchés.
Si, en plus de ces événements relatifs à des disfonctionnements dans l’assurance de la qualité nucléaire, les réacteurs prennent du retard dans leur retour à l’exploitation (après maintenance programmée), le marché craint le pire. Depuis plusieurs mois, les programmes d’entretien sont prorogés et les centrales ont besoin de 2 à 3 semaines de plus par rapport à ce qui était initialement prévu pour être remis en marche. A l’entrée de l’hiver et avec des réserves hydrauliques en forte diminution, un tel retard peut supposer une perte de puissance disponible entre 5 et 7 GW. En cas de vague de froid, l’impact sur les prix de l’électricité serait vraiment significatif. Pour se prémunir de ces aléas, les acteurs du marché achètent à terme l’électricité pour les prochains mois, avec comme conséquence une augmentation des prix.
Face à ces évènements, nous proposons deux conclusions à nos lecteurs. La première s’adresse aux consommateurs : il existe un risque évident de tension sur le marché ; la recommandation est de couvrir ce risque par des couvertures à terme en évitant les positions courtes.
La seconde conclusion est pour le long terme et concerne plutôt les planificateurs et législateurs. Le système électrique français est de plus en plus fragile. Appuyé sur un socle nucléaire vieillissant, les incidents d’inadéquation réglementaire ou d’exploitation seront forcément plus fréquents. Si, en même temps, le back-up du système se voit réduit par un déclassement des centrales thermiques pour des raisons d’obsolescence, de pollution ou simplement pour des raisons économiques, la situation aura tendance à s’aggraver.
Notre deuxième recommandation s’adresse donc aux autorités énergétiques françaises. La meilleure façon de garantir la fiabilité du système est de permettre que les moyens de production de réserve soient disponibles pour répondre à la pointe de la demande. Pour ce faire, il faudrait assurer les revenus minimaux et/ou réduire les charges de cette production de pointe :
- Côté revenus, l’Etat français a été précurseur à passer d’un modèle de marché « energy only » à un modèle de marché « energy plus capacity », et ce malgré les réticences de Bruxelles. Il s’agit maintenant de s’assurer que le marché de capacité fonctionne et qu’il envoie les signaux nécessaires pour retenir la puissance de pointe. Dans l’immédiat, il faudrait faire attention à la faible participation de la demande aux enchères de capacité.
- Côté charges, il reste du chemin à faire. Les tarifs de raccordement gaz et les taxes que supportent ce type d’installations ne sont plus adaptés à leur situation précaire. Une installation qui ne devrait être en opération que quelques centaines d’heures à l’année pour faire face aux aléas du Système ne devrait pas être taxée come une installation produisant en base. IFER, taxe foncière, etc., ne tiennent pas compte de cette réalité. De leur côté, les frais des raccordements gaz sont fonction de la capacité et non de l’usage. Par ailleurs la mise à jour du cadre législatif et réglementaire du stockage gaz pourrait, si elle était mal paramétrée, porter un coup fatal à de nombreuses producteurs de pointe. Il serait dommage que les autorités ne se soucient du sort de ces producteurs qu’une fois qu’ils auront disparu. (Voir l’article)