Nous nous sommes habitués à ce stade d’assister à des interventions sur le marché électrique aussi bien du côté de l’offre que de la demande.
Dans la production, la subvention massive aux énergies renouvelables, le système du droit d’émissions (EU-ETS), les aides à l’industrie à travers des mécanismes de support à la cogénération (CHP) et d’autres mécanismes plus ou moins nouveaux (valorisation des déchets, biogas, etc), ont eu une influence néfaste sur le marché de l’électricité.
Du côté de la demande, les interventions sont tout aussi nombreuses, quoique moins nuisibles pour le secteur : tarifs réglementés, ARENH, TRTAM, aide à la gestion de la demande (« demand response ») ou d’interruptibilité; etc.
Dans l’ancien régime, toutes ces interventions étaient assumées par un Système qui, via les tarifs de vente, ajustaient les revenus nécessaires pour tous les besoins ou velléités du Planificateur. Dans le nouveau système de marché, cela n’est plus possible. Les revenus des acteurs du marché sont déterminés par le prix en gros et celui-ci dépend en grande partie des décisions du Planificateur.
Après des années d’intervention du marché, il est sensé de se demander si un véritable marché de l’électricité existe encore. Le signal de long terme, pour les investissements dans des installations de production, est définitivement déformé et illisible. Personne en pleine possession de ses moyens n’investirait (à prix de reposition) dans des installations de génération sur un marché comportant un tel niveau d’incertitude.
Les nouveaux mécanismes de marché conçus pour pallier cette situation ne produisent pas non plus le signal attendu car l’investisseur a la certitude que d’autres nouvelles distorsions se produiront une fois l’investissement réalisé. En France, un mécanisme de capacité pluriannuel (pour améliorer la visibilité de l’investissement) sera mis en place à la fin de l’année ; celui-ci existe déjà au Royaume Uni et ne donne pas les résultats escomptés. Il est à craindre qu’il ne marchera pas non plus en France.
Dans cette orbite de la planification, la Programmation pluriannuelle de l’Energie (PPE)[1] est actuellement en consultation. Chaque lobby essaie de maximiser ses chances : allongement de la durée de vie du parc nucléaire jusqu’à 60 ans d’exploitation ; remplacement de la génération nucléaire par la génération d’origine renouvelable ; élan à la cogénération comme appui à l’industrie ; développement du secteur du biogaz, du stockage de l’énergie, de l’hydrogène, power to gas, etc. Toutes les politiques énergétiques sont possibles, bien que pas au même coût ni avec les mêmes niveaux de sécurité. La décision revient à l’Etat dans son rôle de planificateur. Ce qui est sûr c’est que quelle que soit la décision finale, la nouvelle politique énergétique ne se réalisera pas sans avoir un impact sur le marché de l’électricité. Et il est à craindre que cette partie de l’équation ne figure pas dans les débats de la PPE.
Cela fait des années que nous jouons à l’apprenti sorcier avec le système électrique. L’Etat développe ses politiques en matière d’énergie sans s’inquiéter des conséquences de ses décisions sur le marché de gros. Les acteurs de ce marché n’en peuvent plus. Le système français perd de la marge de réserve et de la fiabilité. Si rien n’est fait par rapport à ça, tôt ou tard on se retrouvera face à une situation indésirable de défaillance du système.
[1] Elaborée par le Gouvernement en concertation avec l’ensemble des parties prenantes, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) exprime les orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental français. La PPE porte sur deux périodes de 5 ans et est révisée tous les 5 ans.
Toutes les stratégies et tous les documents de planification qui comportent des orientations sur l’énergie doivent être compatibles avec les orientations formulées dans la PPE. En particulier : (i) la fixation de objectifs quantitatifs pour le lancement d’appels d’offres pour des installations de production d’électricité, pour des capacités d’effacement de consommation électrique, ou pour des investissements permettant l’injection de biométhane dans les réseaux de gaz ; (ii) la définition des orientations avec lesquelles l’autorisation d’exploiter des nouvelles installations de production électrique, ainsi que le plan stratégique d’EDF, devront être compatibles ; (iii) la définition du niveau de sécurité d’approvisionnement du système énergétique français, via la fixation du critère de défaillance utilisé pour apprécier l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité, ou encore des stockages de gaz à maintenir pour la sécurité d’approvisionnement.
La PPE sera révisée d’ici fin 2018 puis tous les cinq ans, selon les mêmes modalités que la première programmation.
Antonio Haya