S’il est courant de considérer que le débat sur le dispositif post Arenh est aussi vieux que l’Arenh lui-même, il faut reconnaitre que la question a pris une nouvelle dimension depuis que le fameux plafond de verre des 100TWh a été percé (depuis l’année de livraison 2019) et que la crise de « gilets jaunes » a poussé la dernière Loi Energie Climat du 8 novembre dernier à donner la possibilité de relever ce plafond à 150TWh et à réaffirmer dans le code de l’énergie que ce plafond est déterminé « dans l’objectif de contribuer à la stabilité des prix pour le consommateur final ». Le gouvernement qui, par « crainte de Bruxelles » et dans une certaine illégalité, n’avait pas augmenté ce plafond, a donc lancé les travaux sur la Nouvelle Régulation du Nucléaire Existant (NoRéNE) par une consultation mise en ligne le 17 janvier.
Alors que les débats semblaient s’engager plutôt sereinement, la crise sanitaire du coronavirus est en train de changer la donne.
Revenons succinctement aux orientations présentées dans le document de consultation :
Ces orientations devaient répondre à une feuille de route permettant « de garantir la protection des consommateurs contre les hausses de prix de marché au-delà de 2025 en les faisant bénéficier de l’avantage compétitif lié à l’investissement consenti dans le parc nucléaire historique, tout en donnant la capacité financière à EDF d’assurer la pérennité économique de l’outil de production pour répondre aux besoins de la PPE dans des scénarios de prix bas. »
Sur le plan économique et son impact sur les consommateurs, ces orientations auraient pu se résumer par le slogan : « l’Arenh pour tous, mais obligatoire »
Sur le plan des modalités, nous retrouvions un panachage de dispositifs qui nous permettraient de revisiter (avec nostalgie ?) certains des grands mécanismes qui ont émaillés les 20 premières années de l’ouverture des marchés de l’énergie (ces 20 dernières années, donc) :
- La mise sur le marché de l’énergie nucléaire pourra se faire à l’aide d’enchères qui pourraient rappeler celles organisées entre 2001 et 2003,
- La compensation financière pour les fournisseurs rappellera à certain l’exercice du TaRTAM (2006)
- Le niveau de la compensation s’inspire assez directement des mécanismes de complément de rémunération mis en place en 2015,
- Une idée nouvelle de corridor de prix est introduite. Si cette idée semble avoir certaines faveurs à Bruxelles (et en Allemagne : il en est question pour leur future taxe carbone), elle est loin de faire l’unanimité (surtout avec l’amplitude de 6€/MWh tel que présenté) auprès des acteurs dont certains, tel l’UFE, s’interrogent « sur la pertinence de mettre en place un corridor de prix par rapport à un niveau fixe, notamment au regard de l’objectif visé de stabilité des prix »,
- La détermination des volumes pourrait se faire, ex-post, sur la base des règles actuelles de l’Arenh (puissance moyenne en heures creuses été avec un coefficient de calage)
La seule grande question qui semblait encore être en suspens était celle du prix ou des prix si nous parlons du plancher et du plafond (rappelons que le décret fixant la méthodologie n’a jamais pu voir le jour), et déjà des critiques s’étaient élevées préventivement sur la question de la prise en compte ou non des coûts de Flamanville 3.
Mais aujourd’hui, avec la crise du coronavirus, c’est bien la question volume-capacité qui se trouve désormais au cœur du débat alors que les trajectoires de consommations (plates) et de production par filières semblaient bien balisées (bien qu’un certain nombre d’acteurs soulignaient que la question prix devait traiter aussi la valeur capacitaire sur le marché des garanties de capacité).
Très rapidement, face à la chute brutale des consommations, les fournisseurs alternatifs ont demandé l’application de la clause de force majeure et ont saisi le Conseil d’Etat sur le refus de la CRE de transmettre à RTE l’évolution des volumes d’ARENH livrés par la société EDF aux fournisseurs ayant décidé d’activer cette clause de force majeure. Suite à la délibération de la CRE du 26 mars et une décision du Conseil d’Etat du 18 avril, ce sera certainement au Tribunal de Commerce de se prononcer sur le fond.
De son côté, le 16 avril dernier, par communiqué de presse, EDF a révisé son estimation annuelle de production d’électricité nucléaire pour prendre en compte la crise sanitaire. Cette annonce était plus ou moins prévisible et attendue. Toutefois, si les acteurs envisageaient une chute de la production en 2020 (maintenant réestimée à 300TWh), le nouvel objectif d’EDF est plus faible qu’anticipé et les prévisions pour les années 2021 et 2022 (estimation entre 330 et 360 TWh) le sont tout autant.
Bien sûr, ces effets volume-capacité retrouvent leur traduction dans les prix de marché : chute du Brent de 60 à 20€/bbl, prix de gaz spot à 5€/MWh, prix des EUA (« CO2 ») passant de 25€ à 16€ pour revenir à 21€ et prix de l’électricité baseload 2021 connaissant des variations de plus de 5€ en moins d’un mois (les remontés brutales faisant d’ailleurs suite au communiqué du 16 avril d’EDF).
Si EDF, par un autre communiqué de presse du 21 avril, s’est félicité de la décision du Conseil d’Etat, l’opérateur français des centrales nucléaires en profite aussi pour réaffirmer la nécessité d’une réforme de la régulation permettant de rémunérer justement la production d’électricité nucléaire existante et, en contribuant à la protection du climat, de concourir à la transition énergétique.
Le chantier s’ouvrait, et il ne devrait pas se résumer à la seule introduction de nouveaux acronymes comme NoRéNE et le SIEG (service d’Intérêt Economique Général).
Philippe Boulanger