A l’heure où les primaires politiques monopolisaient l’attention de la France, la réorganisation d’une autre primaire se jouait dans l’ombre : La réserve primaire est la réponse automatique des outils de production à une variation de la fréquence du réseau.
Et au 16 janvier dernier, RTE a tout changé dans l’organisation de cette réserve primaire : Si la participation était obligatoire et son prix connu et identique pour tous les acteurs jusqu’en 2016, la constitution de la réserve primaire est désormais assurée, de forme volontaire, par l’ensemble des producteurs européens interconnectés aux réseaux de transport de la plaque continentale européenne synchrone y leur participation décidé dans des enchères hebdomadaires.
Et ça change tout!
Jusqu’en 2016, chaque groupe de production réservait une partie de sa capacité disponible pour les besoins de réglage primaire du réseau, et était rémunéré via un prix de capacité identique pour tous.
Depuis le 16 janvier 2017, les groupes connectés aux réseaux allemand, belge, néerlandais, suisse, français et autrichien participent à une enchère.
L’Europe électrique à l’heure de Berlin
Ces nouvelles modalités pour le réglage primaire reprennent en réalité le mécanisme déjà en vigueur en Allemagne pour le contrôle primaire (Primärregelleistung) et tertiaire (Minute Reserve) : L’enchère à lieu le mardi pour sélectionner les offres de réserve retenues pour l’ensemble de la semaine suivante.
RTE abandonne donc un système plus flexible de réservation de capacité la veille à 17h30 pour le lendemain. Une opération considérée comme un premier pas vers un réglage du réseau intégré au niveau européen, le dispositif devant gagner en flexibilité dans les années à venir.
Les limites d’une réservation de capacité de primaire paneuropéenne
Au-delà des problématiques de saturation d’interconnexions, de critères de comptage et de qualification des groupes différents selon les réseaux, se pose un problème visibilité : pour participer à la réserve primaire, la majorité des groupes doivent être en opération. Or le fonctionnement des machines flexibles (groupes thermique à flamme) est dicté par le prix du day-ahead. Si parier sur un fonctionnement à l’horizon 12 jours leur serait déjà risqué (leur programme de marche n’étant pas encore arrêté), envisager un fonctionnement en base sur 7 jours aurait un coût prohibitif.
La Sécurité du système, à quel prix?
Dans le contexte d’une baisse des besoins du système en pointe, l’avenir des acteurs de la flexibilité du système est incertain. Le bilan prévisionnel RTE souligne le besoin de flexibilité et de sécurité accru, notamment du fait d’énergies renouvelables intermittentes et ne participant pas au réglage automatique de la fréquence. Cet hiver, l’épisode de tension occasionné par l’indisponibilité de plusieurs groupes nucléaires est venu souligner cette précarité de l’équilibre d’un réseau qui restait excédentaire en énergie, mais était déficitaire en marge de réglage.
Comment maintenir en ligne les capacités nécessaires pour assurer la sécurité du système?
La fourniture de la réserve primaire correspond à une sous-optimisation de la production pour assurer la sécurité du système. Le réglage primaire implique donc généralement un manque à gagner pour les producteurs. Cependant, les prix retenus aux enchères, déjà inférieurs à la moyenne annuelle 2016, se sont effondrés ces dernières semaines.
Trois éléments peuvent expliquer cette baisse de rémunération :
- Le parc d’EdF structurellement excédentaire en réserve primaire « fatale »,
- La participation d’acteurs d’effacement, bénéficiant d’un cumul de régimes plus favorable,
- Et la participation d’acteurs transfrontaliers, notamment hydrauliques.
En regardant plus en détail les résultats des enchères, le constat est plus amer encore : plus la France contribue pour une part considérable (jusqu’à 47% !) à la constitution de réserve primaire européenne, plus le prix moyen de cette réserve retenue par ENTSOE ailleurs en Europe est supérieur à celui de la réserve retenue en France (jusqu’à 11% de plus). Autrement dit, Allemagne, Suisse, Autriche et Pays-Bas bénéficient d’un réglage primaire moins onéreux, mais cette baisse entame essentiellement les revenus des producteurs français, et notamment des producteurs thermiques.
La situation qu’a connue la filière nucléaire à la fin de 2016 a pourtant rappelé le rôle prépondérant du thermique à flamme pour garantir la sécurité du système. Une dépendance qui va perdurer jusqu’à l’arrivée à maturité des technologies de Smart grid, batteries pour réglage et production EnR dispatchables.
Reste que ce nouveau mode de rémunération de la réserve primaire vient brouiller un peu plus des signaux, déjà vacillants, d’investissement en production de pointe. D’autant que le bref historique existant de ce système de réserve primaire montre une incertitude considérable sur les prix (30% de variation en 10 semaines) sans variation des volumes contractualisés par RTE (moins de 3% de variation).
«RTE trouvera-t-il la martingale pour intégrer les réseaux européens sans fragiliser la sécurité du réseau français » ?
Jean Charles Bissié