Parmi les chantiers laissés inachevés par le dernier gouvernement, celui de la réforme de l’accès des tiers aux stockages de gaz naturel (ATS) figure en bonne place. En effet, un travail important de préparation et de consultation avait été fourni par toutes les parties concernées (ministère, CRE, fournisseurs etc.), dans la foulée de la loi de transition énergétique (LTECV) d’août 2015, mais celui-ci n’a jamais débouché.
Pourtant, la France a connu une situation tendue pour son approvisionnement en gaz l’hiver dernier, en particulier en zone sud, et pour l’hiver 2017/2018, la situation des stockages paraît plus préoccupante que jamais : début avril, le niveau des souscriptions étaient inférieur de plus de 30% aux niveaux observés ces trois dernières années, et la situation ne s’est pas améliorée depuis :
Fin mai, GRTgaz et TIGF ont publié très en amont leur « Winter Outlook 2017/2018 », présentant les perspectives du système gazier pour l’hiver prochain, afin d’alerter au plus tôt les acteurs du marché sur les tensions observées sur le réseau gazier et les incertitudes qui pèsent sur l’hiver 2017/2018.
Avec l’arrivée d’une nouvelle équipe gouvernementale, où en est-on, et quelles solutions peut-on envisager ?
En se basant sur la situation de l’hiver passé, les GRT redoutent « une probabilité forte » de congestion dans le Sud-Est et une congestion « probable » dans le Nord, notamment en raison de la faiblesse des souscriptions de stockage déjà enregistrées. Les opérateurs de réseaux ont souligné que « sans augmentation des souscriptions des stockages souterrains de gaz, des arrivées rapides de GNL sur le réseau seront indispensables pour assurer l’approvisionnement en gaz des consommateurs en cas de pointes froides l’hiver prochain sur une dizaine de jours ».
Mais si les stockages de gaz restent si désespérément vides, la raison en est simple : ils sont commercialisés à des prix déconnectés des sous-jacents de marché (spread hiver-été), selon une réglementation dite « négociée » de l’accès des tiers aux stockages.
La LTECV prévoyait de procéder par ordonnance afin de « modifier les obligations de détention de stocks de gaz naturel par les fournisseurs, les modalités d’accès aux infrastructures de stockage de gaz naturel et les missions des gestionnaires de réseaux de transport de gaz naturel en matière de stockage de gaz naturel ainsi que celles de la Commission de régulation de l’énergie (…), afin de renforcer la sécurité de l’approvisionnement gazier et, si nécessaire pour l’atteinte de cet objectif, de réguler les tarifs des capacités de stockage souterrain de gaz naturel ».
Un projet d’ordonnance était prêt à l’été 2016, mais a été retiré de l’ordre du jour du Conseil des Ministres de début août l’an dernier, a priori à cause de considérations fiscales introduites par l’avis du Conseil d’Etat. Depuis, quelques tentatives pour résoudre les problèmes soulevés ont été lancées, notamment par Storengy, mais ont échoué, avant qu’une mission d’inspection ne soit lancée au printemps. Celle-ci a remis son rapport à la Ministre début mai, sans qu’il ne soit rendu public.
Afin de prévenir une nouvelle crise gazière dès l’hiver prochain, il serait urgent de reprendre le sujet de la réforme de l’ATS, en l’inscrivant sur la « feuille de route » de la transition énergétique, qui devrait être publiée juste après les élections législatives. Mais même en agissant avec toute la célérité voulue, le nouveau système ne prendrait effet qu’à l’horizon de l’hiver 2018/2019 au plus tôt.
En tout état de cause, un élément important pourrait rapidement mettre le sujet à l’ordre du jour : un arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE) est attendu dans les semaines qui viennent. Celui-ci pourrait conduire à l’annulation du décret de 2014 qui régit actuellement les obligations de stockage des fournisseurs. Le vide juridique ainsi créé ferait revenir la réglementation au décret de 2006, qui avait conduit au faible taux de remplissage des stockages à l’hiver 2013/2014 – source du décret aujourd’hui remis en question…
Sans attendre les modifications réglementaires, les opérateurs de réseaux ont recherché des solutions pragmatiques afin d’éviter les tensions sur l’approvisionnement en gaz l’hiver prochain. Le mécanisme de « spread localisé », établi en concertation avec les acteurs de marché et le régulateur, va faire l’objet d’une consultation de la CRE à l’été, dans le cadre de la fusion des zones Nord et Sud prévue en 2018. Ce mécanisme doit permettre de réduire les congestions physiques du réseau de transport grâce à des opérations simultanées d’achat/vente de gaz sur la bourse PEGAS, opérée par Powernext, et activables en “Within Day” sur demande de GRTgaz. C’est un dispositif incitatif pour encourager les expéditeurs à amener du gaz là où le réseau en a besoin, combinant un achat sur les points situés en aval de la congestion et une vente sur des points en amont de celle-ci. Ce mécanisme permettrait de valoriser le gaz amené en aval d’une congestion tout en mutualisant les surcoûts éventuels sur l’ensemble du marché.
Dernière minute : alors que l’on apprenait le report à fin juillet de la présentation du rapport de l’avocat général de la CJUE concernant le décret « obligations de stockage » de 2014 (voir-ci-dessus), la DGEC soumet au CSE (Conseil Supérieur de l’Energie) du 6 juillet un projet d’arrêté « relatif aux modalités de prise en compte des autres instruments de modulation pour l’application de l’obligation de déclaration et de détention de stocks et de capacités de stockage des fournisseurs de gaz naturel ».
Ce projet d’arrêté, visant à combler le flou existant depuis 2014 dans la définition de ce que sont les « autres instruments de modulation » tombe ainsi à point nommé pour répondre aux griefs qui risquent de ressortir de la décision de la CJUE. Afin de remplir leur obligation de déclaration et de détention de stocks et de capacités de stockage, les fournisseurs ne seraient plus tenus que de souscrire un minimum de 50% de cette obligation dans des capacités de stockage souterrain de gaz naturel situées en France.
Au delà, et à titre subsidiaire, des instruments de modulation assurant un service équivalent à un stock souterrain de gaz naturel en termes de sécurité d’approvisionnement seraient admis, ceux-ci étant définis comme suite :
- les stocks souterrains de gaz naturel situés dans un autre Etat membre de l’Union européenne;
- les stocks de gaz naturel liquéfié conservés dans un terminal méthanier situé en France ;
- les stocks de gaz naturel liquéfié conservés dans un terminal méthanier situé dans un autre Etat membre de l’Union européenne ;
- les capacités de production non utilisées d’un gisement de gaz naturel situé en France ;
- les capacités de production non utilisées d’un gisement de gaz naturel situé dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
A première vue, les conditions permettant de s’assurer que ces instruments de modulation offrent un service équivalent à un stock souterrain de gaz naturel en termes de sécurité d’approvisionnement sont tellement restrictives qu’il apparaît quasiment impossible d’y avoir recours… De plus, le socle de 50% de capacité de stockage à être détenus en France pourrait ne pas résister aux arguments de la CJUE.
Plus globalement, il ne faudrait pas que cet arrêté de « clarification » vienne remettre en cause la volonté du nouveau Gouvernement de réformer l’accès des tiers au stockages (ATS), dont la nécessité est plus que jamais criante : le problème fondamental de l’ATS actuel provient en effet du mode de commercialisation des capacités de stockage en France, qui le sont à des prix sans commune mesure avec les fondamentaux du marché (spread hiver-été des prix du gaz sur les marchés).