Déjà en dernier, la finance qualifiait le CO2 de matière première la plus performante sur 2018 en saluant le bond de 300% de son cours sur un an. (et près de 400% si nous prenons en compte le pic de 25,16€/tCO2 atteint le 10 septembre).
Parler de performance d’un produit qui est généralement perçu comme une taxe semble pour le moins provocateur! Dit-on que la CSPE est peu performante du fait qu’elle ne semble pas arriver à décoller de 22,5€/MWh depuis le 1er janvier 2016? Avons-nous salué la performance de la CSG qui au 1er janvier de cette année a bondi de 1,7 points pour passer de 7,5% à 9.2% (performance : 22,6% !)?
Ces évolutions de marchés et ces commentaires envieux sont là pour nous rappeler (10 ans après la grande crise financière et la chute de Lehman Brothers) que quand nous parlons ici du CO2 et de son prix, il ne s’agit pas de matière première, ni de gaz ou de vent mais bien d’un produit financier, les EUA (European Emission Allowances).
Notre objet, n’est pas ici de retracer l’histoire chaotique et parfois sulfureuse de ce produit. Comme rappel historique, nous nous contenterons de ce graphique :
Nous nous proposons plutôt de porter des éclairages sur certains aspects et conséquences de ces mouvements de marché.
Pourquoi cette augmentation de prix du CO2 ?
Les évolutions du cours des EUA ont déjà une longue histoire de forte volatilité. S’agissant d’un marché qui repose sur des bases essentiellement réglementaires au niveau de l’Union Européenne, ce marché évolue au fil des décisions (ou de leurs annonces ou anticipations). Dans le cas présent, la performance actuelle du marché du carbone est généralement attribuée à l’anticipation par le marché de la mise en service à partir de janvier 2019 de la réserve de stabilité du marché (MSR), pièce maîtresse de la réforme EU-ETS adoptée l’année dernière et publiée cette année (Directive 2018/410 du 14/3/2018).
Impact sur le prix de l’électricité : Une deuxième CSPE
Le marché à terme de l’électricité a lui aussi été un marché très « performant » ces douze derniers mois ! Sur un an, le produit France Baseload Cal 2019 est passé d’environ 40€/MWh à 60€/MWh (établissant une performance honorable de 50%). Certes le prix du charbon a aussi « performé » avec près de 20%, mais le facteur principal de cette hausse reste bien l’impact de la hausse du prix des EUA. Cet impact est même quantifié dans l’article L122-8.I du code de l’énergie : 0,76 t CO2 par MWh (traduisant la réalité un peu contre-intuitive de la forte dépendance du prix français de l’électricité au charbon). Sur cette base, l’impact sur le prix de l’électricité peut être estimé entre 15 et 20€/MWh (soit 25-30%).
Impact pour le consommateur
Jusqu’à présent le consommateur français est partiellement protégé de cette hausse par le mécanisme de l’Arenh, qui plafonne le coût de sa fourniture de base à 42€/MWh. Mais ce mécanisme est limité dans le temps (2025) et il est plafonné pour la fourniture via les fournisseurs concurrents d’EDF (jusqu’à présent le plafond de 100 TWh ne s’est pas appliqué, mais avec les pertes de marché d’EDF cela pourrait arriver dès les prochaines allocations en novembre 2018).
Par ailleurs, suite à un mécanisme additionnel mis en place à partir de 2016 (quand le prix de marché était inférieur au prix de l’Arenh) pour les consommateurs électro intensifs (cf. l’article L122-8.I du code de l’énergie) ces consommateurs peuvent être compensés de l’impact CO2 dans le prix de l’électricité. Mais la base de valorisation du CO2 utilisée pour la compensation est fixée seulement à 5,91€/t (il est douteux que ce montant soit revalorisé) et cette mesure est aussi limitée dans le temps (2020).
Ces protections sont donc partielles et l’impact commence déjà à se ressentir chez les consommateurs industriels (et certainement bientôt pour les particuliers).
Impact pour l’environnement
Nous aurions dû commencer par ce point puisque c’est la finalité du système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE), plus connu sous l’acronyme anglais European Trading Scheme (ETS).
Cyniquement, nous pourrions présenter les évolutions des émissions du secteur électrique français et nous poser la question simpliste : quelle fut l’impact de cette « double CSPE » sur les émissions du secteur de l’électricité ?
Plus globalement, cet impact limité de l’ETS sur l’environnement ressortait des débats et conclusions présentés lors de la Conférence sur l’ « Etat de l’EU ETS en 2018 » à Paris le 13 juin dernier (en présence de la DGEC, EDF et nombre de grands groupes industriels) :
- Les politiques « Control & Command » sont les politiques qui ont impacté les baisses d’émission dans le secteur de l’énergie.
- Le rôle et l’impact de l’ETS ne peut pas être clairement identifié tant que le prix est inférieur à 30€/t (c’est-à-dire jusqu’à présent).
- La plupart des grands industriels ont toujours un solde créditeur de quotas gratuits.
Si les prix du CO2 devaient durablement s’établir à des niveaux élevés (ce qui, au regard de l’histoire, n’est pas acquis) traduisant une pénurie réelle de quotas pour les grandes entreprises, nous entrerions dans un nouveau paradigme. Ce mécanisme passerait d’un système qui subventionne des grands secteurs industriels européens à un système qui taxerait ces mêmes entreprises.
S’agira-t’il d’un système à somme nulle, maintenant que le système perdure en dehors de l’accord de Kyoto (C’est-à-dire en dehors d’objectifs extra-communautaires) ? En fin de compte les Etats membres de l’Union ainsi que différents fonds européens pour la recherche et l’innovation bénéficient de la mise aux enchères de ces quotas et ces recettes peuvent, in fine, revenir à l’industrie. Le doute est permis et les critiques vis-à-vis d’un tel système ne viennent pas uniquement de l’autre côté de l’atlantique. Le Pape François ne pointait-il pas déjà en 2015 :
« La stratégie d’achat et de vente de “crédits de carbone” peut donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Ce système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui permet de soutenir la surconsommation de certains pays et secteurs » (Lettre Encyclique : Laudato Si)
Philippe Boulanger