Notre article du mois de février envisageait la fin d’une longue saga dans le domaine du gaz…, mais voici déjà un nouvel épisode !
Avec la publication en décembre dernier des décrets sur l’interruptibilité de la consommation de gaz naturel, attendus depuis plus de 4 ans, la longue saga de la problématique du stockage du gaz en France semblait avoir enfin trouvé son terme.
En effet, avec le passage depuis le 1er janvier 2018 à un système régulé de l’accès des tiers aux stockage de gaz naturel (ATS), la rémunération des opérateurs de stockage (Storengy, Teréga et Géométhane) n’était plus basée sur des tarifs « librement » fixés par les opérateurs, et jugés prohibitifs par le marché, mais sur un double système :
- Une mise aux enchères, sans prix de réserve, des capacités de stockage ;
- Au cas où les revenus des enchères seraient insuffisants, une compensation fixée par la CRE, pour combler la différence et couvrir l’ensemble des coûts régulés des opérateurs, prélevée sur les consommateurs par le biais des tarifs de transport du gaz.
De nombreuses voix s’étant élevées pour expliquer que la compensation grèverait fortement les coûts des industriels, producteurs d’électricité etc., l’interruptibilité avait été trouvée comme échappatoire à la compensation stockage… il suffisait de se faire reconnaitre comme interruptible (en particulier avec « l’interruptibilité secondaire », non rémunérée) pour qu’un site puisse échapper en grande partie à cette compensation ! La boucle était bouclée…
Par ailleurs, la campagne de commercialisation des capacités de stockage de gaz couvrant la période du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 s’est très bien passée cette année. Storengy a ainsi annoncé vendredi 28 février la fin de sa campagne de commercialisation, en faisant état d’un « bilan très positif » avec 100 % des capacités proposées, soit plus de 94 TWh de stockage, vendues. Le prix de vente moyen a été de 3,7 €/MWh, ne cessant d’augmenter au fil des mois : 1,9 €/MWh en juin 2019, 3,3 €/MWh en novembre 2019, 5 €/MWh en janvier 2020, pour finir à 5,2 €/MWh en février 2020 (hors produit Sediane B).
De même, Teréga, qui opère les infrastructures gazières dans le Sud-Ouest de la France, a observé une tendance identique. Pour la dernière campagne de commercialisation, la demande est restée forte, avec une sursouscription oscillant entre 7 et 13 fois le volume proposé, et des prix en hausse, avec un plus haut de 5,97 €/MWh observé lors de l’enchère du 19 février.
« Les enchérisseurs ont proposé des offres nettement supérieures à la simple différence de prix été/hiver du gaz sur les marchés de gros », a relevé Storengy. « Les revenus issus de ces enchères représentent près des trois quarts des revenus autorisés des trois opérateurs de stockage, ce qui permet de diminuer la compensation au bénéfice du consommateur final », a expliqué Storengy.
Tout se présentait donc bien, avec des stockages remplis, des enchères à la hausse, et une compensation en baisse, même si la CRE a décidé, avec le nouveau tarif d’acheminement ATRT7, d’en étendre le périmètre de collecte aux clients raccordés au réseau de transport…
L’enquête de la Commission
Soupçonnant une « aide d’État », la Commission européenne a annoncé ce même vendredi 28 février l’ouverture d’une enquête approfondie sur le mécanisme de régulation du stockage de gaz naturel en France. L’objet de cette enquête est de vérifier si le système régulé est conforme aux règles de l’Union européenne en matière d’aides d’État.
En 2019, le montant des compensations versées aux trois opérateurs s’est élevé à 540 millions d’euros. La Commission explique que si « la France a un intérêt légitime à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de ses citoyens et de ses entreprises, le rôle de Commission européenne est de veiller à ce que les mesures prises présentent un bon rapport coût-efficacité et préservent la concurrence, de sorte que les consommateurs paient un prix juste pour le gaz naturel. »
À ce stade, la Commission doute en particulier que la méthode de valorisation des actifs régulés soit suffisamment justifiée. Cet élément est essentiel afin de déterminer si le montant de l’aide est limité au minimum nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement. « La France n’a pas procédé à une évaluation économique indépendante de la valeur de marché des actifs au moment de la mise en œuvre du mécanisme de régulation. De plus, le mécanisme rémunère des investissements réalisés avant que les revenus des opérateurs de stockage soient régulés. Or, la France n’a pas évalué si ces revenus ont permis aux opérateurs de stockage de couvrir leur coût initial d’investissement », souligne la Commission.
La Commission doute ainsi que les effets positifs potentiels de l’aide l’emportent sur ses effets négatifs potentiels sur la concurrence et les échanges entre États membres. En particulier, l’introduction de la mesure pourrait réduire artificiellement les incitations à utiliser les terminaux GNL et les interconnexions et pourrait inciter les fournisseurs de gaz à stocker du gaz en France plutôt que dans les États membres voisins.
Ce dernier commentaire semble être la clef du problème, et l’explication des bons résultats des enchères de stockage : avec l’abondance actuelle de gaz bon marché, les opérateurs européens se sont précipités pour le stocker en France, où la réforme du stockage de fin 2017 a créé une bulle de capacités.
En effet, les opérateurs de stockage sont arrivés à obtenir que rentrent dans le périmètre des installations régulées plus de 130 TWh, alors que le besoin réel de stockage pour assurer la sécurité d’approvisionnement en France serait inférieur.
Les consommateurs français sont donc mis à contribution pour financer un volume de stockage supérieur à leurs besoins… et financent donc le stockage pour les besoins d’autres pays.
Même si l’appétit pour le stockage de gaz en France a poussé les résultats des enchères à la hausse, conduisant mécaniquement à une baisse de la compensation, il n’est pas sûr que les consommateurs français en ressortent gagnants, par rapport à une régulation qui ne porterait que sur le volume strictement nécessaire, le reste des capacités pouvant être librement commercialisé par les opérateurs de stockage.
Fondamentalement, on découvre – un peu tard – que le stockage de gaz est une activité concurrentielle, et non pas un simple monopole naturel comme les réseaux de transport et de distribution, devant être régulés.
Et ironiquement, si la France a résisté depuis 2004 jusqu’à fin 2017 à réguler le stockage, préférant le système dit « négocié » pour l’accès des tiers au stockage (ATS), alors que la directive européenne de 2003 prévoyait que l’ATS pouvait être soit négocié, soit réglementé, c’est maintenant la Commission qui revient pour critiquer la régulation finalement mise en place !
Pour les consommateurs, ce dernier rebondissement ne peut être qu’une bonne nouvelle, qui devrait – à terme – permettre de réduire le périmètre des stockages donnant lieu à la compensation. Par contre, il y a du pain sur la planche pour démêler les stockages à assigner aux besoins de continuité de la fourniture en France, d’autres disponibles pour les besoins de marchés adjacents.
A la saga de l’interruptibilité en succède maintenant une nouvelle sur le stockage – une série à succès !
Philippe Lamboley