Les marchés financiers constituent un miroir fascinant du sentiment collectif. Le prix d’une action n’est pas seulement le résultat de ce qu’une entreprise réalise aujourd’hui : il reflète la valeur actualisée des bénéfices futurs que les investisseurs anticipent. Lorsqu’un titre « surperforme », c’est que ces anticipations ont été revues à la hausse. Lorsqu’il s’effondre, c’est que les perspectives futures ont été jugées moins prometteuses. Dans un secteur aussi dynamique et sensible que celui de l’énergie, ces révisions d’attentes sont particulièrement marquées.
Au cours des dix dernières années, le marché énergétique a connu plusieurs révolutions narratives : l’essor spectaculaire des renouvelables, l’effondrement puis le rebond inattendu du pétrole et du gaz, le retour progressif du nucléaire, et l’euphorie — parfois démesurée — autour de l’hydrogène. Pour observer ces mouvements, les ETF sectoriels offrent un indicateur précieux, car ils agrègent la performance d’un ensemble d’entreprises représentatives d’une technologie ou d’un secteur. Leur évolution reflète donc l’humeur du marché sur l’ensemble d’un segment technologique plutôt que sur un acteur particulier.
Cet article, qui n’a pas vocation à constituer un conseil en investissement, propose de retracer ces grandes tendances sans présager des performances futures. Nous choisissons d’étudier les price returns des ETFs plutôt que les total returns, car nous ne nous intéressons pas au rendement final des investissements mais seulement au sentiment du marché sur le futur du secteur.
Le solaire : champion sur la décennie, mais soumis à de violents cycles
Si l’on devait résumer l’évolution du secteur solaire en une image, ce serait une courbe ascendante mais sinueuse. L’ETF TAN, qui regroupe les grandes entreprises du photovoltaïque, affiche environ +80 % de performance brute (« price return ») sur les dix dernières années. Mais cette moyenne est trompeuse tant les fluctuations ont été extrêmes.
Entre 2019 et 2021, TAN a connu une envolée spectaculaire de plus de 200 %, portée par une combinaison de facteurs très favorables : baisse continue du coût des panneaux solaires, politiques publiques incitatives, ambitions climatiques renforcées et capital abondant. La conviction dominante était alors que le solaire deviendrait la technologie pivot de la transition énergétique mondiale.

Mais cette euphorie a été suivie d’un retour brutal à la réalité : hausse des taux d’intérêt, inflation sur les matériaux, marges compressées par la surcapacité asiatique, ralentissement des installations dans certains pays. Entre 2022 et 2024, TAN a ainsi perdu près de la moitié de sa valeur. Le marché n’a pas renié le potentiel du solaire, mais il a révisé ses attentes à un niveau plus raisonnable, reflétant la difficulté à maintenir une croissance rentable dans un environnement compétitif et soumis à de fortes pressions de coûts.
L’éolien : un potentiel gigantesque mais des contraintes lourdes
L’éolien, mesuré à travers l’ETF ICLN (qui inclut de nombreux acteurs éoliens et plus largement les énergies propres), a enregistré environ +45 % sur dix ans. Comme le solaire, il a bénéficié d’une phase d’optimisme intense entre 2018 et 2021, incarnée notamment par l’explosion des projets offshore en Europe et par des politiques ambitieuses de soutien aux renouvelables.

Mais les années 2022 et 2023 ont marqué un coup d’arrêt. L’inflation des matières premières, la hausse des coûts de financement et les retards multiples dans les appels d’offres offshore ont entièrement rebattu les cartes. Le marché a pris conscience que la rentabilité de certains modèles économiques était plus fragile que prévu. Les valorisations ont alors chuté, sanctionnant non pas la technologie elle-même — dont le potentiel reste massif — mais les conditions financières et industrielles dans lesquelles elle évoluait.
Le pétrole et le gaz : la résilience inattendue des fossiles
S’il existe un enseignement majeur de la décennie, c’est sans doute celui-ci : les hydrocarbures sont loin d’avoir disparu du paysage énergétique, et les marchés l’ont brutalement réalisé à partir de 2021.

L’ETF XLE, qui regroupe les grandes entreprises pétrolières et gazières américaines, affiche environ +55 % de performance sur dix ans. Pourtant, la première moitié de la période semblait annoncer sa déroute : chute des prix du pétrole en 2014–2016, pressions ESG croissantes, faiblesse chronique des marges et effondrement historique de la demande en 2020 suite à l’épidémie Covid et une récession à l’horizon. À cette époque, XLE était largement dans le rouge.
Mais la reprise économique post-pandémie, la crise énergétique européenne de 2022 et l’explosion des prix du gaz ont tout changé. Entre 2020 et 2023, XLE a doublé de valeur (voire triplé par rapport au plus bas), porté par un contexte géopolitique tendu et par des années de sous-investissement qui ont rendu l’offre structurellement insuffisante. Les investisseurs ont alors revu à la hausse leurs anticipations de cash-flow, admettant que pétrole et gaz resteraient essentiels plus longtemps que prévu.
Le nucléaire : discret mais en remontée continue
Le nucléaire constitue un cas particulier : contrairement au solaire ou au pétrole, il n’existe pas d’ETF purement consacré à la production d’électricité nucléaire. Le baromètre le plus utilisé pour suivre l’intérêt du marché est l’ETF URA, centré sur l’uranium et les sociétés minières qui en assurent l’extraction.
En price return pur — c’est-à-dire en ne considérant que l’évolution du cours de l’ETF, sans réinvestissement des dividendes — URA affiche sur dix ans une progression modérée mais nette, cohérente avec un regain d’intérêt du marché pour la filière nucléaire. La tendance est positive, mais nettement plus prudente que celle suggérée par les mesures en total return, car l’essentiel de la performance de l’ETF provient historiquement de distributions liées aux sociétés minières.
Cette hausse reflète trois dynamiques structurelles: la reconnaissance du rôle du nucléaire dans la décarbonation, l’émergence de la filière des petits réacteurs modulaires (SMR), et la progression du prix de l’uranium, stimulée par des anticipations d’augmentation de la demande mondiale.

Le marché reste toutefois prudent. Les grands projets nucléaires souffrent encore de coûts élevés, de retards récurrents et d’une visibilité politique fluctuante. L’intérêt des investisseurs est réel, mais mesuré : le nucléaire est perçu comme une technologie essentielle mais longue à déployer.
L’hydrogène : du rêve d’omniprésence à la réévaluation
L’hydrogène vert est probablement la technologie qui a suscité les mouvements de marché les plus contrastés, même si l’analyse sur dix ans est limitée par le fait que les ETF spécialisés n’existent que depuis peu. Les deux principaux ETF dédiés à l’hydrogène sont:
- Global X Hydrogen ETF (HYDR) – lancé en juillet 2021
- Defiance Next Gen H2 ETF (HDRO) – lancé en mars 2021
À leur lancement, ces ETF ont bénéficié d’un fort élan : politiques publiques ambitieuses (UE, Corée, Japon, États-Unis), annonces industrielles massives, volonté de décarboner l’acier, le transport et les engrais. Entre mi-2021 et fin 2021, HYDR et HDRO ont connu une hausse initiale rapide, reflétant l’exubérance du marché sur le thème hydrogène.
Cependant, à partir de 2022, leurs cours ont reculé de manière marquée, revenant pour la plupart sous leurs prix d’introduction. Ce retournement reflète une révision profonde des anticipations :
- coût de production de l’hydrogène vert toujours trop élevé,
- dépendance aux subventions publiques,
- faibles volumes de projets réellement opérationnels,
- incertitudes sur les usages finaux,
- hausse des taux d’intérêt pénalisant les projets intensifs en capital.
Ainsi, même s’il est trop tôt pour dégager une tendance longue — faute d’historique suffisant — le marché a clairement ajusté ses attentes entre l’enthousiasme initial de 2021 et la normalisation de 2022–2024.

Les ETF hydrogène ne traduisent plus un pari de révolution immédiate, mais plutôt un intérêt prudent, fondé sur des applications ciblées (industrie lourde, chimie, raffinage) qui nécessiteront plusieurs années de maturité technologique.
Tableau récapitulatif :

Conclusion : les marchés ne prédisent pas, ils racontent
Au terme de cette décennie, trois enseignements se dégagent.
D’abord, les marchés valorisent fortement les technologies lorsqu’un récit puissant s’installe : ce fut le cas pour le solaire, l’éolien et l’hydrogène. Ensuite, ils peuvent revenir brutalement sur leurs anticipations lorsque les conditions économiques évoluent — comme l’ont montré les corrections de 2022–2024. Enfin, ils peuvent aussi redonner de la valeur à des secteurs que l’on croyait déclinants, comme le pétrole ou le gaz, lorsque la réalité géopolitique et physique le justifie.
Les ETF sectoriels nous permettent d’observer ces changements d’humeur : ils ne disent pas quelle technologie dominera demain, mais ils nous apprennent comment les investisseurs réévaluent en permanence leurs espoirs et leurs craintes.
Thibault Uhl


