Le 13 décembre dernier, par un communiqué de presse enthousiaste, la Commission européenne se félicitait de l’accord politique obtenu le même jour entre le Parlement européen et le Conseil sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), plus connu sous son acronyme irlandais CBAM, à prononcer « sibame », dont le principe est de taxer le contenu carbone des importations. Selon la Commission, ce mécanisme sera l’outil de référence de l’Union pour encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers : « une solution européenne à un problème mondial ! »

La lecture du communiqué, du même jour, émanent du Conseil européen apparait nettement plus circonspect : cet accord est de nature « provisoire et conditionnelle », « le CBAM ne pourra être formellement adopté qu’une fois que les éléments pertinents pour le CBAM auront été résolus dans d’autres dossiers connexes » et que dans un premier temps, il se limitera « uniquement aux obligations de déclaration »…

Ainsi, la mise en place de ce mécanisme est intimement liée à nombre d’initiatives et propositions faites par la Commission lors de la présentation de son pacte vert, le 14 juillet 2021. Un nouvel accord (provisoire) Parlement/Conseil a donc été obtenu 5 jours plus tard, après 30 heures de négociations. Aussi, avant de détailler le mécanisme CBAM, regardons le contexte dans lequel ce projet de Règlement s’inscrit.

CBAM et son contexte

Son principal élément de contexte est la révision à la hausse de l’ambition européenne en termes de réduction de gaz à effet de serre à l’horizon 2030. Cette ambition se traduit par cinq textes[1] très interconnectés dont une proposition de révision directive de l’ETS pour la phase 2021-2030 (et la proposition de règlement CBAM). Ces textes prévoient de :

  • Relever l’ambition générale de l’ETS de 55% de réduction à 61%. (L’accord serait 62%).
  • Etendre l’aviation ETS au secteur maritime.
  • Créer un nouvel ETS pour le bâtiment et le transport routier. (Il s’agit de se mettre en conformité avec l’Allemagne… mais avec la mise en place de protection contre des prix excessifs. Selon l’accord du Conseil, ce prix ne pourra pas excéder 45€/tCO2 soit ~0,15€/l essence ou 8,33€/MWh qui est le niveau de l’impact de la « taxe carbone » à la française qui ne dit plus son nom. Mécanisme allemand, prix français !)
  • Créer le Fonds social pour le climat pour la transition énergétique : antidote espéré anti « gilet jaune » et pouvant représenter jusqu’à 86,7Milliard€.
  • Renforcer le Fonds de l’Innovation (qui pourrait financer des contrats pour différence dans le secteur de l’hydrogène, par exemple – le fond passe de 450 à 575 millions de quotas, ~50Milliard€).
  • Réviser les règles sur les allocations gratuites avec notamment la révision des benchmarks et surtout l’élimination progressive des allocations gratuites à la suite de la mise en place du CBAM, élimination totale en 2035. C’est ce point qui inquiète le plus les industriels européens et cette inquiétude a bien été relayée par le Conseil. (Les consommateurs finaux seraient aussi en droit de s’inquiéter).
  • Maintenir, en ce qui concerne la Réserve de stabilité, le doublement des seuils et du pourcentage d’admission jusqu’en 2030 – soit, taux d’admission : 24% le seuil et le nombre minimal de quotas à placer dans la réserve : 200 millions de quotas.

Par ailleurs, comme le fait remarquer le Conseil : « le financement des dépenses administratives de la Commission européenne, qui assumera de nombreuses tâches administratives centralisées liées au MACF-CBAM, devra être décidé conformément à la procédure budgétaire annuelle de l’UE. »

Le CBAM

La proposition de la Commission se résume ainsi :

  • Le principe du mécanisme est de « créer un outil historique pour fixer un prix équitable sur le carbone émis lors de la production de produits à forte intensité de carbone qui entrent dans l’UE, et pour encourager une production industrielle plus propre dans les pays tiers.»
  • Le champ d’application sont les importations des secteurs suivants : ciment, fer et acier, aluminium, engrais, électricité et hydrogène.
  • Les modalités pratiques sont les suivantes :
    • Ce mécanisme va entrainer la création de nouveaux certificats qui ne semblent pas « tradable ». Leur durée de validité est limitée à une année et les excédents pourront être revendus au prix d’achat : les CBAM Certificats. Ces certificats seront émis par les pays membres au prix fixé par la Commission (en fonction des prix des dernières enchères) et les recettes seront « majoritairement » reversées à la Commission : « Bien que la création de recettes ne soit pas un objectif du MACF, ce dernier devrait générer des recettes supplémentaires, estimées pour 2030 à plus de 2,1 milliards€». Nous notons que l’émission de ces certificats ne feront pas l’objet de rationnement et son système de fixation de prix s’apparente à un consommateur qui pourrait, après coup, acheter l’électricité au prix des dernières enchères.
    • Chaque importateur devra calculer les émissions intrinsèques de chaque produit inclus dans le champ d’application et restituer le nombre de certificats correspondants. Ce calcul devant être fait selon des modalités précises et feront l’objet de vérification.

Dans le but de donner une chance à ce dispositif d’être conforme aux règles de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) deux provisions ont été ajoutées :

  • Article 31 : « Les certificats MACF à restituer […] sont ajustés pour correspondre à la mesure dans laquelle les quotas du SEQE de l’UE sont alloués à titre gratuit ».

Cet article est muet sur la prise en compte de la compensation CO2 dans le prix de l’électricité en faveur des électro-intensifs (cf. communication de la Commission européenne du 21 septembre 2020 sur les lignes directrices concernant certaines aides d’Etat dans le contexte du système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre après 2021 (C [2020] 6400 final)).

  • Article 9 : « Un déclarant agréé peut demander […] une réduction du nombre de certificats CBAM à restituer afin de tenir compte du prix du carbone payé dans le pays d’origine ».

Il est heureux que les recettes générées, potentiellement, par l’émission de ces certificats ne soit pas un objectif du CBAM ; il semble suffire que ce pays exportateur taxe cette exportation sur la base des émissions et du prix européen du CO2 pour que les recettes restent dans le pays.

En revanche, pour le calcul des émissions intrinsèques de l’électricité ce règlement est plus généreux pour les pays tiers que pour ceux de l’Union : le coût de l’ETS (via les certificats CBAM) ne s’appliquera que sur le facteur d’émission moyen alors qu’en Europe le prix de l’électricité inclut une taxation carbone via l’ETS à la mesure des facteurs d’émission marginaux. Par exemple, pour la France, ce facteur d’émission est estimé à 0,51t/MWh (Décr. no 2022-1591 du 20 déc. 2022, art. 1er ) alors que le facteur d’émission moyen est environ 10 fois inférieur.

Conclusion

Le 18 avril 2023, le Parlement Européen a adopté les cinq textes concernés par l’accord du 18 décembre. Dans la foulée, ces textes ont été validés par le Conseil, le mardi 24 avril. La voie semble désormais dégagée pour le CBAM qui nécessitera un certain nombre de textes d’application. Espérons que ce mécanisme sera autre chose qu’une formule magique ouvrant les portes de l’Europe à des produits carbonés voire délocalisés mais plutôt la protection d’une industrie européenne forte et propre !

Philippe Boulanger

[1] Sources :

  1. ETS-EU Reform
  2. CBAM
  3. ETS market stability reserve
  4. ReFuelEU
  5. Social Climate Fund

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Philippe a ensuite travaillé pendant 3 ans au siège d’E.ON pour coordonner les activités de l’entreprise en France. Il a été fortement impliqué dans le projet français de renouvellement de la concession hydroélectrique. En tant que Senior Vice President – Project Director chez Solvay Energy Services d’avril 2012 à février 2014, il était en charge des projets de déploiement H2/Power to gas et d’accès direct au marché européen. Philippe est un expert pour HES depuis 2014.

Philippe est ingénieur diplômé de l’Ecole Polytechnique et de l’Ecole Nationale des Ponts & Chaussées (France) et possède une expérience combinée de plus de 25 ans en énergie et infrastructures. En plus de l’anglais, M. Boulanger parle couramment le français, l’allemand et l’espagnol.

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