L’Europe et les Etats ont gaspillé « un pognon de dingue », en se drapant de morale écologiste, pour arracher des effets de réduction d’émissions (et d’énergie primaire) lamentablement atones.
Figure 1 Consommation d’énergie primaire au sein de l’Union européenne (UE) entre 2006 et 2018*(en millions de tonnes d’équivalent pétrole) (Source Statista 2020)
Aujourd’hui (Post-Covid ?), alors que l’industrie – et donc ses émissions de gaz à effet de serre –ont marqué le pas, on s’empresse de nous dire que l’épidémie et son cortège de restrictions auraient été favorables aux objectifs environnementaux et qu’un monde d’après, plus vert, serait à naître. Mais est-ce bien le cas ? Regardons le tableau de la France de plus près :
- Pas de changement majeur à la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE)
- Faible retard de déploiement des EnR dû à la pandémie
- Baisse de production du nucléaire pour 2 années (due aux maintenances reprogrammées), ce qui entrainera un mix plus carboné (toutes choses égales par ailleurs)
- Et des énergies primaires qui n’ont jamais été si bon marché que pendant la crise (le gaz n’étant même pas à l’abri de prix négatifs, selon la plateforme Powernext : voir notre )
Pas vraiment des signaux que le monde serait subitement devenu plus vert… Mais un changement accéléré est promis s’amorcer avec un train de nouvelles mesures pour relancer l’économie par une croissance verte. L’Europe promet 750 milliards (dont un tiers pour la transition verte), la France relance de 100 milliards dont 30 milliards dédiés à la transition écologique, l’Allemagne renchérit avec un plan à 130 milliards d’Euros… N’en jetez plus !
Au-delà d’une aggravation de la dette publique, les sommes colossales investies dans la reprise par les Etats et l’Europe aideront-elles à redresser le cap vert ? Rien n’est moins sûr. Chronique d’un désastre évitable :
Le vert à moitié plein…
L’exemple du dispositif français controversé des CEE (Certificats d’Economie d’Energies) l’illustre bien. Une mission d’évaluation[1], à la suite de la Cour des Comptes, y soulignait pudiquement « le hiatus existant entre la communication réalisée autour des travaux de rénovation énergétique, […], et la réalité […] qui est beaucoup plus nuancée ».
Pour les CEE – comme pour nombre de dispositifs similaires– le « vert » est donc davantage dans l’intention des subventions et le regard bienveillant des communicants que dans le fruit des mesures financées à grands frais. En 2014 donc, les auteurs du rapport d’inspection des CEE se risquaient même à écrire que « le fait pour l’État d’encourager à travers le dispositif des CEE des opérations très défavorables financièrement […] peut susciter débat. » ; un débat qui peine encore à s’ouvrir en 2020, alors que le rapport d’experts de l’ADEME évalue l’inefficacité du dispositif des CEE à 53%. Une évaporation par étages résumée en un graphique laconique :
Figure 2: Source : rapport synthétique d’évaluation des CEE, ADEME, 2020
Un bilan qui ne décourage pas l’Etat qui, dans le cadre de son plan de relance économique, prévoit d’investir 7 milliards supplémentaires dans ce même dispositif (un peu amendé tout de même, dans la louable intention de limiter la fraude). En effet, pour faire repartir la croissance, on va déverser encore plus de subventions, aides ou capacités sur les énergies considérées comme vertes…
…Au risque de déséquilibrer le système électrique et de générer des prix négatifs ou des effets de bord contraires (comme le besoin de maintenir des centrales charbon pour le réglage de fréquence).
D’ailleurs, à bien y regarder, l’erreur a déjà été commise (cf. notre article sur les errements de l’EnergieWende). Résultat : la lignite qui dévore des villages et tourne toujours à plein régime en Allemagne quand des 2 centrales à gaz, flambant neuves et ultra-performantes, d’Irshing 4 et 5 sous cocon.
Dépenser d’abord…
Si la crise du Covid offre un répit dans la croissance de la consommation d’énergie primaire et d’émissions, elle aura aussi jeté en pleine lumière cette question de la sécurité d’approvisionnement énergétique et de sécurité du réseau électrique. Une crainte qui, en propulsant les certificats de capacité 2020 à 53 000 Euros par MWh, profite plus aux groupes diesels qu’aux EnR. Et une facture payée in fine par le consommateur.
Mais déjà on annonce 1 milliard de subventions pour des batteries, qui vont résoudre le problème, nous dit-on. Ou le déplacer ? Outre le temps de transition nécessaire pour déployer les batteries et les intégrer au système électrique, on est ici plus près de la planification que de la libéralisation de marché tant vantée par l’UE.
Car enfin, si le renouvelable était tellement moins cher et la technologie des batteries si performante, il n’y aurait pas besoin de subventionner si massivement le secteur. CQFD…
En réalité, les systèmes de batteries souffrent encore de limitations qui ne leur permettent pas de couvrir l’ensemble des besoins de flexibilité du système : contrairement aux apparences trompeuses, un MWh n’en vaut pas un autre, et la trajectoire du mécanisme de capacité, établie à l’échelle d’un Etat, ne saurait compenser à elle seule une orbite désaxée ou excessive à l’échelle de l’Europe.
Et quid de la gestion d’autres ressources non renouvelables : les métaux rares qui rentrent dans la composition des batteries ? Quid de la fin de vie des batteries et leur recyclage ? Comme pour les éoliennes : les solutions seront à penser après la vague.
Dans le même temps, une filière hydrogène pourtant prometteuse et plus durable aura tardé à voir autant de bonnes fées de l’Europe se pencher sur son berceau… Mais ça, c’était avant…
La politique du coup de bélier
Le 9 septembre dernier, l’économie s’allie à l’écologie, la relance se joint à la transition et, par la voix de leurs Ministres respectifs, annoncent une stratégie hydrogène : 7 milliards là aussi pour la relance, et des objectifs grandioses : 6,5 GW d’électrolyseurs installés en 2030 : pharaonique ! Et là encore, un goût de déjà vu dans cette nouvelle politique de subvention avec injection dans le réseau de gaz naturel et traçabilité.
C’était naguère une autre filière verte et vertueuse qui avait ces égards et émolument : le Biogaz, où un système rémunérant jusqu’à 10 fois le prix du gaz et exonérant de Taxe (TICGN) a déclenché une ruée verte vers les projets Biométhane et leurs garanties d’origine.
Le coût serait dès 2021 de plus d’1 milliard annuel pour l’Etat, ce qui explique que le Gouvernement veuille aujourd’hui fermer la vanne (et ce surtout avant que les garanties Européennes issues d’autres pays puissent être substituables au GO françaises, et donc éligibles aux mêmes avantages…).
C’est chose faite avec la loi de Finances pour 2020 [2]qui supprime cette exonération de TICGN du Biogaz à compter du 1er janvier 2021. Mais cela risque d’occasionner un brutal coup d’arrêt à la filière biométhane en France. Gageons que la retraite des investisseurs sera aussi prompte que l’assaut. Un autre exemple de ces politiques incitatives en « coup de bélier » qui avaient déjà montré leurs effets délétères dans le développement du solaire à la fin des années 2000, à la révision des tarifs de rachat…
Il faut considérer la fin
Tout se passe comme si le dogme voulait que soit systématiquement créé un puits de subventions, d’exonérations et d’incitations à sens unique, pour en vouloir sortir à toute force quelques années et gaspillages plus tard…
Loin de nous l’idée de remettre en cause une orientation environnementale de la croissance. Il reste qu’un peu plus de continuité et de simplification dans les dispositifs permettrait d’éviter certains des écueils qui ont jalonné les politiques énergétiques ces dernières années (surcoûts faramineux, effets d’aubaines, résultats adverses, coup d’arrêt brutal à des filières ou fraude massive…).
A l’instar d’un marché de l’électricité qui a été amené à corriger son approche « energy only », il y a une adaptation à trouver dans la politique énergétique de l’UE, et une optimisation à mettre en place pour Dépenser moins (d’argent public) pour obtenir plus de résultats en termes d’environnement et de sécurité énergétique et à long terme. Il reste à espérer que la crise du Covid sera surtout l’opportunité pour l’Europe (et ses Etats) de faire (enfin) les bons choix pour une transition énergétique plus pragmatique et moins dogmatique.
En d’autres termes : avant l’efficacité énergétique, il faudrait rechercher l’efficacité de la politique énergétique.
Jean-Charles Bissié
[1] RAPPORT Les certificats d’économies d’énergie : efficacité énergétique et analyse économique, CGEDD, IGF, Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies, juillet 2014 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/cge/certificats-energie.pdf
[2] LOI n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 (1)