Deux bonnes nouvelles en apparence ont conduit à l’émergence d’une crise énergétique majeure en Chine, qui s’est propagée au reste du monde avec une augmentation explosive des prix de l’énergie, en particulier ceux du gaz naturel.
En effet, la solide reprise économique post-Covid en Chine a entrainé une forte augmentation de la demande d’électricité… au moment où le pays a engagé de sérieux efforts pour limiter le recours au charbon, dans le but de remplir ses objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.
Mais le charbon fournit encore environ 60% de l’électricité du pays ! Entre fermetures de mines de charbon, embargo officieux sur les importations en provenance de l’Australie, provinces devant remplir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le tout dans un contexte de prix de l’électricité plafonnés par le gouvernement central, le résultat ne s’est pas fait attendre : plusieurs grandes villes chinoises subissent de sévères coupures d’électricité.
Les compagnies gazières chinoises se sont alors lancées dans une chasse au GNL, avec les conséquences que l’on connaît en Europe : les marchés anticipant des pénuries massives pour l’hiver, les prix du gaz ont atteint début octobre un plus haut historique de 159 euros/MWh, avant de retomber sous les 100 euros/MWh.
Peut-on espérer un retour rapide à la « normale », en particulier avec la mise en service prochaine du gazoduc Nord Stream 2 ?
Rien n’est moins sûr…
La Chine est prête à payer sans compter pour son approvisionnement en gaz, alors que les grandes et riches provinces industrielles du Sud comme Guangdong ainsi que les régions minières du Nord-Ouest ont institué des mesures de rationnement d’électricité qui ont provoqué une vive inquiétude parmi la population et ont menacé de plonger l’économie dans le chaos, rapporte la presse.
Mais cette fois-ci, des quartiers résidentiels sont également affectés par des coupures de courant, ce qui ne s’était pas produit depuis près d’une décennie.
Premier consommateur mondial d’énergie et premier émetteur de gaz à effet de serre, la Chine affiche son ambition de réduire ses émissions à partir de 2030, puis de ramener ses émissions nettes à zéro d’ici 2060 ; c’est en tout cas la promesse formulée par le président chinois Xi Jinping aux Nations Unies.
La pénurie d’électricité actuelle est le résultat d’une politique appliquée depuis plusieurs années par la Chine pour devenir moins dépendante du charbon. Il y a environ cinq ans, Pékin a en effet commencé à planifier les fermetures progressives des mines concentrées dans le nord-ouest du pays. À cette époque, l’industrie minière chinoise produisait trop de charbon et avait donc un impact environnemental très négatif. Elle avait aussi très mauvaise presse à cause de nombreux accidents mortels.
Mais fin septembre, les six grands fournisseurs nationaux d’énergie chinois n’avaient en réserve que de quoi couvrir à peine les besoins du pays en charbon pendant quinze jours. La situation est encore pire en Inde, avec des réserves de moins de 8 jours de fonctionnement.
Les tensions sur les marchés chinois, asiatiques et européens de l’énergie ont une même origine, liée à la reprise économique. Les usines se sont remises à tourner à plein régime, ce qui entraîne une forte hausse des besoins en électricité que l’offre en énergie ne peut assouvir.
Avec l’approche de l’hiver, la demande en gaz a donné lieu à une ruée sur le GNL. Le Qatar a averti que être confronté à une demande énorme de tous ses clients, et ne pas pouvoir répondre à tout le monde, les méthaniers faisant la queue devant le pays… Une guerre d’enchères se met en place entre l’Europe et la Chine, prête à payer des primes élevées par rapport à la référence européenne.
Et cela intervient alors que les stocks de gaz en Europe sont à leur plus bas niveau saisonnier depuis plus d’une décennie, en raison notamment d’une sortie d’hiver 2020-21 froide, même si la réforme du stockage en France a permis ici de maintenir des niveaux satisfaisants.
D’autres facteurs sont à l’œuvre en Europe, les approvisionnements en provenance de Russie – producteur d’équilibre pour l’Europe – étant limités à l’heure actuelle. Le résultat est que les prix du gaz ont été multipliés par 5 entre septembre 2020 et septembre 2021.
Néanmoins, le démarrage du gazoduc Nord Stream 2, dont la construction s’est récemment achevée, pourrait à terme venir soulager la pénurie dont souffre l’Europe. Mais sa mise en service commerciale va prendre encore plusieurs mois, et Uniper par exemple a déclaré que ce nouveau tuyau n’aidera pas à réduire les tensions sur l’approvisionnement en gaz de l’Europe cet hiver…
Rappelons que les 2 conduites du Nord Stream permettent un approvisionnement direct en gaz russe à travers la mer Baltique jusqu’à l’Allemagne, sans passer par la route continentale à travers l’Ukraine… les travaux du gazoduc Nord Stream 2 avaient été interrompus du fait de l’opposition et des sanctions des Etats-Unis, mais ont repris et été achevés en septembre 2021. Ce gazoduc donnera accès à de nouvelles réserves de gaz russes situées dans l’Arctique.
Entre-temps, les gouvernements européens prévoient des mesures nationales de soutien à leurs citoyens, incluant subventions, plafonnements de prix etc., pour amortir les chocs, en période de sortie de la crise du Covid-19. Mais vu l’ampleur du différentiel de prix à absorber, et l’opposition toujours forte à ce qui est perçu comme une énergie fossile comme les autres, il y a fort à douter que ces approches permettront de juguler rapidement l’augmentation des prix du gaz.
Pas étonnant que le nucléaire revienne en grâce auprès des politiciens, pour concilier réduction des émissions de gaz à effet de serre et accès à de l’électricité abondante. Seul problème : les délais de réalisation de nouvelles centrales, avec un horizon de 10 à 15 ans !
« A court terme, concernant le gaz, seule la Russie de V. Poutine pourrait faire retomber la pression. Cependant, le Nord Stream 2, surtout avec les péripéties de sa certification côté allemand et européen, n’apportera pas de solution avant la fin de l’hiver. Tout dépendra donc des flux de gaz russe à travers le Belarus et l’Ukraine… en effet, le Qatar produit au maximum de ses capacités, et les exportations de GNL des États-Unis ont fortement rebondi après la crise du Covid-19, et sont proches des capacités maximales là-aussi. Gazprom dit respecter « toutes ses obligations », mais s’est montrée prête à ouvrir un peu plus grand le robinet à partir du 8 novembre pour permettre de reconstituer les stocks de gaz en Europe à l’entrée de l’hiver, ceux de la Russie étant maintenant pleins… La réaction des marchés ne s’est pas fait attendre : le cours du TTF est repassé le 29 octobre sous les 70 €/MWh pour la première fois depuis le 27 septembre, à 68,53 €/MWh. Mais la plupart des analystes voient encore des prix élevés jusqu’au printemps, et très volatils, comme l’a montré la réaction des marchés après la suspension de la certification du Nord Stream 2. Fondamentalement, du fait de la pause dans les investissements due à la crise du Covid-19, l’offre de gaz ne devrait en effet pas augmenter de façon significative en 2022-2023. »
Philippe Lamboley