La transition énergétique en Espagne avance à grands pas. En quelques années seulement, le pays a vu son paysage croître en termes de panneaux solaires et d’éoliennes, devenant ainsi un des leaders européens en matière d’intégration des énergies renouvelables. Mais ce succès a son revers de la médaille : le système électrique espagnol n’a pas été conçu pour gérer autant d’énergie renouvelable sans compensation suffisante. Pour justifier nos propos, il nous suffit de mentionner les évènements du dernier 28 avril, en Espagne. En fin de matinée de printemps, alors que le soleil brillait et que le vent soufflait, une partie du pays s’est retrouvée sans électricité. On a cru à un sabotage ou à une défaillance technique ponctuelle mais il s’agissait en réalité d’un avertissement !
Bien que l’analyse pour comprendre les évènements de ce jour-là soit en cours, certains experts soulignent, déjà, qu’il s’agit d’une conséquence directe d’un système saturé par la production renouvelable à un moment où la production des machines synchrones traditionnelle était faible, c’est-à-dire sans le « poids » électrique fourni par les grandes centrales électriques conventionnelles. Le réseau, tel qu’il est conçu, a besoin de stabilité, et cette stabilité est assurée par des technologies capables de maintenir l’équilibre du système en quelques millisecondes. Sans cette compensation, l’excès d’énergie verte peut devenir un problème. Ainsi, plutôt que de blâmer les énergies renouvelables, le black-out met en évidence une dette structurelle : la révolution des énergies renouvelables n’a pas été accompagnée des infrastructures nécessaires. Les batteries, les compensateurs synchrones et autres technologies de flexibilité ne sont plus une option futuriste, mais un pilier urgent pour que la transition énergétique ne devienne pas un risque pour la sécurité d’approvisionnement.
Les batteries, comment ça marche ?
Les batteries électriques stockent l’énergie pour la restituer à un autre moment, selon le besoin. Actuellement, les plus communes sont les lithium-ion, bien qu’il existe également d’autres technologies émergentes telles que à flux, au sodium ou les batteries de seconde vie des véhicules électriques. Leurs applications vont de l’autoconsommation domestique aux installations à grande échelle (utility-scale), en passant par les systèmes de back-up pour les réseaux électriques ou les data centres.
Au-delà du stockage de l’énergie, les batteries peuvent fonctionner comme des actifs clés du système électrique. Ses services comprennent l’arbitrage énergétique (achat à bas prix et vente à prix élevé), les services d’équilibrage et de réserve, et la participation à des marchés de capacité.
En Espagne, la participation des batteries aux marchés spot, day-ahead, ou mécanisme d’ajustement est déjà envisagé, bien qu’avec certaines limitations pratiques.
Réglementation et obstacles techniques et juridiques
Cependant, bon nombre des limitations sont dues à un cadre réglementaire qui n’a pas évolué au rythme imposé par la transition énergétique.
À ce jour, des obstacles persistent tels que :
- Absence de statut juridique pour les batteries : elles sont actuellement considérées comme des générateurs ou des consommateurs, ce qui implique un double péage et des coûts qui découragent leur développement.
- Retards dans la rémunération des services : il n’existe toujours pas de mécanismes stables pour rémunérer des services tels que l’équilibrage du réseau ou d’effacement, qui sont valorisés sur d’autres marchés.
Jusqu’à il y a un an, il existait un troisième obstacle : les problèmes de connexion au réseau. En raison de la priorité accordée aux énergies renouvelables, la lenteur administrative et le manque de vision systémique pour intégrer le stockage dans la planification du réseau. Cependant, il y a du changement…
Hybridation
L’hybridation des installations énergétiques devient l’axe autour duquel les régulateurs veulent commencer à définir un cadre réglementaire plus cohérent et fonctionnel. Cette approche, qui consiste à combiner la production renouvelable et le stockage au même point de connexion, est au cœur du projet du décret AR 413/2014 espagnol, qui est en cours de traitement. La loi propose non seulement la valeur stratégique des actifs hybrides mais leur donne également un accès prioritaire au réseau par rapport aux projets uniquement avec des énergies renouvelables ou uniquement avec des batteries. Il s’agit d’un premier pas pertinent vers un modèle plus flexible, plus efficace et plus résilient.
Il reste encore un long chemin à parcourir, mais ce projet de loi montre la voie. Avis aux développeurs : l’hybridation commence à prendre une place centrale dans la régulation de l’énergie.
Le déploiement, à grande échelle, des batteries ne transforme pas seulement les fondamentaux du système électrique, il aura aussi des effets visibles pour le consommateur. En permettant une plus grande intégration des énergies renouvelables, les batteries peuvent contribuer à faire baisser les prix aux heures de pointe et à réduire la volatilité du marché de l’électricité. En outre, dans un avenir pas si lointain, elles pourraient faciliter des modèles d’autoconsommation plus avancés, dans lesquels les ménages, les communautés énergétiques ou les entreprises optimisent leur consommation grâce à leurs propres systèmes de stockage. Dans ce nouvel écosystème, le consommateur ne sera plus un acteur passif mais deviendra un élément actif de la stabilité et de l’efficacité du système.
Afin de s’adapter à l’évolution rapide du paysage énergétique, Haya Energy Solutions propose désormais un service de valorisation des batteries qui fournit une analyse complète – économique, technique et réglementaire – pour vous aider à identifier le potentiel maximal de votre projet. Grâce à nos outils propriétaires, CHEF et RINGO, nous faisons une estimation des courbes horaires des prix futurs et optimisons l’utilisation des batteries selon différents scénarios de valorisation (services d’équilibre, marché de capacité, effacement, entre autres). Nous adaptons chaque analyse aux caractéristiques spécifiques du client, qu’il s’agisse de projets stand-alone ou hybrides, afin de garantir des investissements informés et rentables.
Pour que son déploiement devienne une réalité pour tous les utilisateurs, il sera essentiel de développer des modèles hybrides bien conçus, des systèmes de gestion intelligents et des plateformes d’agrégation permettant de coordonner des milliers de petites unités de stockage. L’avenir du système électrique espagnol sera non seulement plus renouvelable, mais aussi plus flexible, décentralisé et plus intelligent. Et les batteries seront au cœur de cette transformation.
De façons générale, les agrégateurs (entités qui regroupent plusieurs ressources énergétiques distribuées (y compris les batteries)) transformeront le marché espagnol de l’électricité en apportant de la flexibilité, en optimisant l’utilisation de la capacité de stockage et en renforçant l’intégration des énergies renouvelables. Grâce aux agrégateurs, les batteries pourront participer de manière coordonnée aux marchés de gros, d’équilibrage et de services auxiliaires, ce qui réduira le « curtailment » des énergies propres et atténuera la volatilité des prix. Il en résultera une concurrence plus intense pour les enchères de capacité et de réserve, une plus grande efficacité dans l’équilibre entre l’offre et la demande et une répartition différente des bénéfices entre les producteurs, les consommateurs et les gestionnaires de réseau. Toutefois, son impact réel dépendra de la maturité réglementaire (directive 2019/944), de l’interopérabilité des systèmes et des incitations spécifiques dans chaque pays, ainsi que de l’évolution des coûts des batteries.
Perspectives d’avenir
Le PNIEC (Plan National Intégré Énergie-Climat) espagnol 2023-2030 fixe des objectifs ambitieux en matière de capacité de batterie installée. Avec un objectif de 22 GW de stockage d’ici 2030, dont 9 GW sont estimés être de batteries. L’objectif est de rendre le réseau plus flexible pour gérer des niveaux élevés de solaire et d’éolien, de réduire les rejets d’énergies renouvelables, en particulier au printemps, et de soutenir les zones non péninsulaires et l’autoconsommation.
Sur le plan réglementaire, il est prévu que le nouveau cadre d’enchères de capacités (prévu pour 2025-2026) inclue explicitement le stockage, bien que cela ne soit pas encore défini.
De plus, d’autres technologies innovantes telles que l’hydrogène vert, les systèmes hybrides et les batteries de seconde vie devraient compléter cette évolution. Ainsi, l’innovation sera essentielle pour réduire les coûts, augmenter l’efficacité et parvenir à une véritable électrification durable.
L’Espagne évolue vers un système électrique plus propre, mais aussi plus complexe. Les batteries sont présentées comme un élément central pour assurer la flexibilité et la résilience du réseau. Bien qu’il reste des défis à relever, leur rôle sera décisif dans la décarbonisation du système énergétique et dans la construction d’un modèle plus sûr, plus efficace et plus robuste.
Paloma Hepburn Jiménez & Diego Marroquín