Le mécanisme de capacité est le fondement de l’indépendance énergétique de la France. En effet, avec le déploiement des énergies renouvelables, la décision de retirer progressivement la production au charbon et au fioul, ainsi que les centrales nucléaires vieillissantes, s’est fait ressentir le besoin, au début des années 2010, de garantir suffisamment de capacité disponible lors des heures de pointe pour éviter les défaillances sur le réseau.
Certains actifs, en particulier, n’étaient pas rentables dans l’ensemble car ils ne pouvaient produire qu’avec une marge de quelques heures par an. La raison du mécanisme s’explique donc par sa contribution à maintenir ces capacités sur le marché et à encourager le développement de nouvelles.
À la suite d’une demande formulée à la Commission européenne, contre l’ingérence dans le marché de l’énergie, pour accepter le nouveau mécanisme, la France a opté pour un mécanisme de capacité décentralisé. En théorie, ce dernier est plus cohérent avec les principes du marché libre et son objectif était et reste de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité à long terme de la France. Le mécanisme actuel qui est entré en vigueur en janvier 2017 doit expirer en 2026, après une décennie de fonctionnement. D’importantes discussions à haut niveau sont en cours pour l’élaboration du nouveau mécanisme qui continuerait à représenter une source majeure de revenus pour de nombreux acteurs dans les décennies à venir.
Le mécanisme de capacité français actuel repose sur un accord unique, universel et décentralisé. Universel parce que tout contributeur, qu’il s’agisse d’un producteur ou, du côté de la demande, d’un fournisseur, reçoit un paiement identique sans critère de discrimination de type ou de technologie en fonction de sa contribution réelle à la sécurité du système. Décentralisé parce que l’échange de capacité a lieu entre les contributeurs et les demandeurs (clients). Chaque producteur d’électricité (ou fournisseur de flexibilité du côté de la demande) doit certifier sa capacité de production à hauteur de sa disponibilité attendue pendant les heures de pointe.
Image provenant d’EdF montrant que pendant les heures de pointe, même si toutes les technologies sont utilisées (à droite), il n’y a parfois, toujours pas, assez d’électricité disponible.
Parallèlement, chaque fournisseur est tenu d’obtenir des garanties de capacité pour couvrir la consommation de tous ses clients lors des périodes de pointe de la consommation nationale. Les producteurs peuvent vendre leurs garanties à des fournisseurs ou à des traders, de manière bilatérale ou par le biais d’enchères organisées. La contribution et l’obligation des acteurs sont mesurées les jours désignés comme jours de pointe par RTE : de 7h à 15h et de 18h à 20h, soit 10 heures. Il existe deux types de jours de pointe : PP1 et PP2. Les jours PP1 concernent les consommateurs tandis que les jours PP2 s’appliquent aux producteurs. Par an, il y a au maximum 15 jours PP1 et 25 jours PP2.
Image provenant de RTE montrant les producteurs (en vert) et les fournisseurs (en orange) échangeant des contrats de capacité pour une année donnée.
Bien que le mécanisme de capacité ait été concluant pour générer une source importante de revenus aux acteurs (en particulier, aux producteurs d’électricité) et par conséquent, d’assurer la stabilité du système français pendant les jours de pointe, plusieurs acteurs estiment, aujourd’hui, que le système présente des failles : complexité, volatilité des prix, rôle de l’acteur principal et manque de prévisibilité.
Même après plusieurs années de fonctionnement du mécanisme, la plupart des grands acteurs du marché ont une compréhension floue des subtilités du système et ont tendance à participer de manière sous-optimale au marché des certificats de capacité. En outre, certains grands acteurs du marché, en particulier EdF, ont un effet prépondérant à la fois sur l’offre et sur la demande lors des ventes aux enchères. Si l’on ajoute à cela le fait que les acteurs, contrairement à l’idéal prévu, ne certifient pas quatre ans à l’avance mais le font souvent à la dernière minute, cette situation générale a pour conséquence d’entraîner d’énormes variations de l’offre et de la demande d’une vente aux enchères à l’autre. Il en résulte deux problématiques : la difficulté à prévoir la disponibilité réelle des capacités de production et de flexibilité pour une année donnée, entraînant un risque accru pour le système, et la volatilité importante des prix introduisant un risque financier pour les producteurs, les fournisseurs et les consommateurs. Par exemple, la dernière enchère de 2022 pour le contrat de livraison 2023 s’est soldée à 60k€/MW, alors que la même enchère un an plus tard, pour le contrat 2024, s’est soldée à un prix de 6,2k€/MW, soit près de 10 fois moins.
Graphique de HES montrant les résultats des enchères pour différentes années de livraison
Le mécanisme actuel, entré en vigueur en janvier 2017, expirera en 2026. Cela signifie que d’importantes discussions à haut niveau sont en cours pour son renouvellement et son amélioration. La première question qui se pose est de savoir si la France aura besoin d’un mécanisme de capacité après 2026. Les producteurs bénéficiant du mécanisme souhaiteraient qu’il soit maintenu en tout état de cause. Les fournisseurs, bien qu’exerçant, théoriquement, une force contraire car désireux de maintenir les prix de l’électricité à un niveau bas, ont en fait tendance à répercuter le prix de la capacité sur les consommateurs. Il existe donc une pression considérable en faveur du renouvellement du mécanisme, indépendamment de la question de sa nécessité.
L’autre grande question est de savoir si l’UE autorisera la France à adopter un nouveau mécanisme de capacité. Bien que dans sa transition verte, le système électrique français continuera à bénéficier d’une énorme source d’énergie modulable ; le nucléaire, alors que d’autres pays s’appuient davantage sur l’éolien et le solaire (soumis aux aléas météorologiques). Il n’en reste pas moins vrai que les sources d’énergie renouvelables joueront également un rôle clé en France. Dans ce nouveau contexte européen, marqué par une forte intermittence de la production d’énergie renouvelable, l’UE considère que les mécanismes de capacité nationaux sont utiles pour garantir la sécurité du système, contrairement à avant ; où ils étaient considérés un obstacle au libre marché. Il est certain que tout paiement de capacité décidé par un État membre doit être contrôlé par les autorités de l’UE pour s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’une aide de l’État.
Comment se présentera le futur mécanisme de capacité français ?
Le nouveau système vise à remédier à plusieurs des faiblesses du mécanisme actuel. Rejoignant le modèle du Royaume-Uni et de l’Italie, selon les discussions de haut niveau coordonnées par RTE, le système s’oriente vers un mécanisme de capacité centralisé avec RTE comme principale contrepartie. Il y aura moins d’enchères qu’actuellement et des obligations strictes de certification à l’avance. Cela permettra une simplification considérable pour tous les participants et augmentera la prévisibilité de la capacité disponible 4 ans à l’avance. De plus, la principale vente aux enchères ayant lieu 4 ans à l’avance, les acteurs disposeront d’un signal de prix clair. Bien sûr, le contre-effet naturel avec une diminution du risque financier serait que les acteurs du marché auraient moins de possibilité à ajuster leurs positions et à maximiser les bénéfices économiques.
Les développements actuels renforcent l’importance de suivre de près le processus réglementaire car l’une des principales sources de revenus des fournisseurs de capacité et de flexibilité pour les décennies à venir est en cours de formulation. Pour certains acteurs du secteur de l’énergie, le mécanisme de capacité représente une part importante de leurs revenus annuels, en particulier, lorsqu’ils ne sont pas en fonctionnement toute l’année, mais principalement pendant les périodes où les prix sont élevés.
Du côté du client, le coût du nouveau mécanisme de capacité sera pratiquement comme une autre taxe de réseau. Il ne sera plus possible de gérer ou de couvrir ses prix dans le cadre du nouveau mécanisme. Toutefois, des décisions stratégiques peuvent être prises car l’écrêtement des pointes et le déplacement de la production seront toujours intéressants pour réduire les coûts.
Le nouveau mécanisme étant en cours de discussion, nous recommandons aux producteurs et aux fournisseurs d’y participer autant que possible tant que le débat est ouvert afin de maximiser les profits et de contribuer aux développements réglementaires. Vous pouvez compter sur HES, aussi bien grâce à son expérience consolidée sur le mécanisme de capacité français qu’à son suivi continu des marchés et de la réglementation au niveau européen.
Enea Albertoli