Le 17 août 2022, la première loi de la nouvelle législature donc du second mandat d’Emmanuel Macron, « LOI n°2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat » a été publiée au Journal Officiel.
Si les débats et les polémiques ont souvent porté sur les mesures relatives à la protection du niveau de vie des français (Titre I de cette loi : « Protection du niveau de vie des français ») et la protection des consommateurs (Titre II de cette loi : « Protection du consommateur »), ce texte offre un volet très important (22 articles sur 48 au total) à la question de la « Souveraineté énergétique » (Titre III de cette loi) avec des dispositions relatives à la sécurité d’approvisionnement en gaz et en électricité tout en rajoutant des nouvelles dispositions relatives à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH).
Ces derniers mois, nous avons vu et souvent commenté dans cette newsletter ; comment les gouvernements tentent de limiter l’impact de la hausse des prix de l’énergie pour le consommateur soit par des aides budgétaires (subventions, réductions de taxes, voir article « Hausse des prix de gros de l’énergie : quelles sont les politiques nationales mises en place pour protéger les consommateurs finals européens ? ») soit en intervenant sur le fonctionnement du marché (voir articles « TIMES THEY ARE A-CHANGIN’ – Exception Ibérique » et « Suspension du marché spot de l’électricité australien : un avertissement pour l’Europe ? »). Par cette loi, le législateur français (et le gouvernement) donne à l’administration française de nouveaux moyens d’intervenir sur l’équilibre offre/demande et donc sur les marchés de l’énergie.
La prochaine grande loi Energie Climat ; loi sur la stratégie française en termes d’énergie climat est obligatoirement programmée pour la mi-2023. Cette loi, en plus de cadrer la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), devra comprendre la définition nouvelle de l’organisation des marchés de l’électricité (une nouvelle NOME) en définissant un mécanisme post-ARENH. C’est sans l’attendre que l’organisation du marché de l’électricité se transforme peu à peu, au fil des lois, comme à travers de la dernière loi de finance et maintenant avec cette loi sur le pouvoir d’achat. Il est encore probable que la prochaine loi de finance contienne encore un riche volet énergie climat.
La mesure potentiellement la plus radicale de cette nouvelle loi du 16 août est celle définie dans l’article 26. Même si cet article apparait dans le chapitre des dispositions relatives à la sécurité d’approvisionnement en gaz, c’est bien le fonctionnement du marché de l’électricité qui est impacté en première ligne :
Le ministre peut « ordonner à des exploitants d’installations de production d’électricité utilisant du gaz naturel de restreindre ou de suspendre l’activité de leurs installations » et peut « réquisitionner les services chargés de l’exploitation de certaines de ces installations afin qu’elles fonctionnent uniquement selon les directives et sous le contrôle de l’opérateur qu’il désigne ».
Naturellement, ces dispositions ne seraient effectives qu’en cas « de menace grave sur la sécurité d’approvisionnement en gaz » ou « menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité ». Cependant, les niveaux de prix de marché semblent signifier que nous entrons bien dans ces cas ; le spread France/Allemagne sur les prix « future » de l’électricité semble bien intégrer un certain nombre d’heures où le plafond de prix sur le marché spot serait atteint (entrainant d’ailleurs, théoriquement, un relèvement de ce même plafond même si la CRE plaide, à juste titre, contre l’automatisme de ce relèvement de prix plafond).
Dans la version votée par le parlement, cette mesure devait être limitée dans le temps à 5 ans à compter de la date de publication de cette loi. Dans la version promulguée après passage au Sénat et Commission Mixte Paritaire, la durée a été ramenée à 4 ans et ses modalités d’application devront être définies par Décret en conseil d’Etat (ce qui retardera d’autant la possible mise en œuvre de cette mesure).
Les opérateurs seront indemnisés, bien sûr, mais « aucune indemnité n’est due pour la privation du profit qu’aurait pu procurer à l’exploitant la libre exploitation de son installation ». Ainsi, nous comprenons que ces indemnités devraient aussi couvrir le coût d’achat dans le marché d’une vente à terme qui ne peut pas être honorée par le fonctionnement de la centrale. Mais, le décret à venir : fixera-t-il des limites à ces coûts et donc définirait-il les règles de couvertures pour les centrales au gaz ?
Sachant que le prix en France est principalement défini par les centrales à gaz (ce qui fait l’objet de critiques les plus vives de la part du gouvernement : une « absurdité » selon Bruno Lemaire et constat repris par Emmanuel Macron), cette mesure constitue peut-être les prémices d’une réforme radicale du marché de l’électricité qui semblerait s’inspirer des « PPAs » qui liaient par le passé EDF aux producteurs (comme la Société Nationale d’Electricité et de Thermique – SNET).
Les mesures donnant des dérogations de fonctionnement pour les centrales à charbon (article 36) ou bien celles donnant la possibilité au ministre d’intervenir sur le fonctionnement des mécanismes d’effacement (article 33) ou celles donnant la possibilité au gestionnaire de transport la mise à disposition des installations de backup « production ou de stockage d’électricité de plus d’un mégawatt en vue de leur fournir une alimentation de secours » (article 34), vont dans le même sens : établir de nouveaux moyens pour intervenir sur l’équilibre offre/demande donc sur les marchés de l’énergie.
Nous ne pouvons pas manquer de mentionner les dispositions relatives à l’ARENH même si elles sont décevantes au regard des attentes des consommateurs.
Deux articles (39 et 40) semblent être davantage destinés à valoriser les actions EDF que le gouvernement entend racheter (préoccupation du pouvoir d’achat des petits porteurs d’actions EDF ?) : le plafond du plafond du volume ARENH est ramené à 120TWh (contre 150TWh sans que ce plafond de plafond n’ai été jamais mis en œuvre). De plus, le prix pour 2023 de l’ARENH ne pourra être inférieur à 49,5€/MWh (si accord de la Commission Européenne et à compter de la date de cet accord). Pour les autres consommateurs, ces articles pourraient présenter un intérêt de planification s’il signifiait que le plafond 2023 était effectivement relevé à 120TWh (hypothèse qui semble assez probable mais qui ne proviendrait en rien de cette loi) et si le prix était fixé effectivement à 49,5€ (ce qui nécessite, en fait, un décret et une autorisation de Bruxelles).
Par ailleurs, le gouvernement a rajouté un article permettant de sanctuariser le mécanisme des 20TWh supplémentaires pour 2022, en particulier, contre les recours de la part d’EDF.
Depuis la loi de février 2000, les lois énergie climat se sont succédées à un rythme soutenu ; généralement tous les deux ans, ce qui a permis la création d’un « Code de l’Energie » bien étoffé. Avec la crise des prix de l’énergie que nous vivons actuellement, le rythme s’accélère. En plus de la Loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, et dans l’attente de la loi SFEC en juin 2023, le code de l’énergie s’est vu fortement impacté par la loi de finance 2022 et par cette loi pour la protection du pouvoir d’achat.
Il nous reste qu’à attendre ce qu’apportera la prochaine loi de finance de décembre 2022 qui va animer les débats de la rentrée.
Philippe Boulanger