Nouvelle année oblige, nous nous tournons aujourd’hui vers l’avenir, et plus particulièrement vers l’un des “game changers” qui pourraient profondément modifier le monde de l’énergie. Lorsqu’il est question de Blockchain, la question la plus fréquente est « qu’est-ce que c’est, le Blockchain ? ».
En fait, tout le monde en a entendu parler : C’est la technologie disruptive qui se cache derrière le Bitcoin. Si cette dernière application du Blockchain a pris une ampleur telle que les cours des crypto-monnaies numériques entrent désormais dans le cadre des indices les plus suivis par les bourses, la technologie de blockchain pourrait avoir un impact au moins aussi saisissant sur tous les aspects du monde de l’énergie.
Si la première application de la blockchain a été la désintermédiation financière, la suppression d’intermédiaire entre deux acteurs peut s’appliquer à bien d’autres domaines. Décryptage de quelques champs d’application possibles de cet Internet dédié aux transaction sécurisées.
Une BlockChain c’est une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle. C’est en quelque sorte une base de données distribuée répliquant l’historique des échanges (d’énergie par exemple) dans chaque nœud qui compose le réseau. Après un processus automatique de validation, les échanges sont certifiés, cryptés et ajoutés dans la chaine de blocs.
Une blockchain est donc, selon les termes de Wikipédia, un registre distribué et sécurisé de toutes les transactions effectuées depuis le démarrage du système réparti.
Crédit image : Ferréol GODEBARGE, ROSSAT Romain, Engie
Un exemple parmi d’autres : En utilisant les compteurs comme nœuds de réseau, la blockchain permettrait la mise en œuvre de plusieurs réseaux virtuels sur le réseau public d’électricité. Des expériences sont déjà en cours, dans le domaine de la recherche bien sûr, mais aussi opérationnellement avec nombre de start-ups à travers le monde (LO3 Energy, Consensus Systems ou Drift aux USA, Power Ledger en Nouvelle-Zélande, WePower en Estonie, Evolution Energie, Ponton ou SunChain en France, etc) qui suscitent l’intérêt des grands groupes du secteur (Edf, Engie, Vattenfall, E.On ou encore RWE). En Chine aussi, le blockchain se développe à l’ombre du solaire.
Une révolution pour la valorisation de la production d’énergie et la distribution…
Le vrai changement pour le monde de l’énergie, c’est le smartgrid rendu possible avec notamment une autoconsommation « délocalisée », l’énergie pouvant ainsi être utilisée en un point de consommation différent du site de production. Un concept qu’avait anticipé l’ordonnance de juillet 2016 en définissant l’autoconsommation collective. L’autoconsommation peut ainsi être mutualisée sur plusieurs sites distants, et même délocalisée aux véhicules électriques via des bornes de recharge connectées.
Plus encore, via Internet Of the Objects et les compteurs intelligents connectés, le blockchain permet d’envisager d’automatiser la mesure, la maintenance, la facturation, et l’archivage des quantités produites et consommées, la documentation de l’état d’installations de production et la tenue des registres de certificats d’authenticité pour l’électricité verte ou d’attestations de quotas de CO2…
Mais aussi un bouleversement des échanges commerciaux
Le trading et le courtage d’énergie pourraient eux aussi être considérablement bousculés par le blockchain. A terme, le pilotage automatisé de systèmes d’énergie décentralisés, via les « smart contracts » que permet la blockchain, Ce mode d’intermédiation contractuel nouveau, évidemment lié à une évolution réglementaire, est déjà à l’œuvre au Canada avec le lancement Blockchain Power Trust, et d’autres lui emboîtent le pas.
C’est donc sans doute dans ce dernier domaine que cette technologie pourrait apporter le plus rapidement des avancées majeures au monde de l’énergie. La possibilité de construire de produits complexes et non-standardisés, les transactions impliquant plusieurs acheteurs et vendeurs, la transparence des échanges : autant d’avancées qui amélioreraient la liquidité du marché et rééquilibreraient les échanges entre producteurs et consommateurs. En permettant la mise en relation sécurisée d’un grand nombre d’acteurs et de leurs données, le blockchain devrait à terme redéfinir le courtage en énergie pour l’emmener vers l’infini et au-delà.
Avec quelques obstacles
Un bémol toutefois : selon les commodités, le blockchain peut être le moyen d’introduire plus de complexité et, in fine, moins de lisibilité dans les transactions. La simplicité d’entrée de nouveaux acteurs avait déjà été, en 2006, l’instrument du plus grand carrousel TVA avec la fraude aux quotas CO2…
Si elle permettrait de se passer d’acteurs centralisés pour coordonner les échanges, la technologie du Blockchain repose sur la confiance dans le système de contrôle distribué et pose d’évidentes questions de gouvernance et de souveraineté.
Et pour qu’advienne cette révolution du blockchain, il faudra d’abord résoudre un problème qui fait déjà polémique pour son application actuelle : le Bitcoin. Et l’enjeu est de taille, car le Bitcoin a paradoxalement presqu’autant besoin de l’énergie que la réciproque. Mais à quoi est utilisée cette énergie ? A calculer.
C’est la clef de la sécurité de cette technologie : la blockchain est comme une base de données distribuée et partagée par tous les nœuds d’un réseau (des ordinateurs ou serveurs). Les transactions y sont groupées en blocs qui sont ajoutés à la « base de données » en les liant l’un à l’autre, à la manière d’une chaine. Quand un nœud soumet une nouvelle transaction, avant de l’ajouter à la chaine il faut vérifier que ce nouveau bloc est compatible avec l’ensemble de la chaine préexistante : c’est le « minage ».
Crédit image : FollowMyVote
Cette vérification de l’intégrité de la chaine et le traitement des erreurs nécessitent en effet une énorme capacité de calcul, fournie par les « mineurs », des nœuds de capacités de calcul distribuées (et rétribuées). En 2017, le minage de la seule monnaie virtuelle « Ethereum » a consommé autant d’énergie qu’un pays comme Chypre, et celui du Bitcoin (essentiellement localisé en Chine) nécessite plus de 29 TWh, soit l’équivalent de 3 centrales nucléaires ! Un tel système est donc inadéquat pour des micro-transactions énergétiques quand le coût énergétique du traitement de la transaction par la blockchain devient supérieur à la quantité d’énergie échangée. Les blockchains dédiées à l’énergie devront donc s’attacher à consommer le moins d’énergie possible.
Jean Charles Bissié