En point d’orgue d’une année qui aura vu le Brexit et une croissance de la méfiance des pays membres vis-à-vis d’une organisation ressentie chaque jour plus intrusive, c’est « droite dans ses bottes » et sans le moindre complexe que la Commission Européenne a rendu publique le 30/11/2017, son Paquet d’Hiver de plus de 6000 pages centrées sur la transition énergétique (4ème Paquet Energie depuis 1996) ! Il s’agit d’une série de documents (Décisions, Réglementations, Projets de Directives, Lignes directives, études d’impact etc.) publiée sous le titre :
Une énergie propre pour tous les Européens – libérer le potentiel de croissance de l’Europe
Avec l’objectif ambitieux de :
Réduire ses émissions de CO2 d’au moins 40% d’ici à 2030 tout en modernisant l’économie de l’UE et en créant des emplois et de la croissance pour tous les citoyens européens
Avec une « Proposition de résolution européenne » de la part du Sénat (16/2/2017) et un « Rapport d’information sur la nouvelle organisation du marché de l’électricité dans le cadre du 4e paquet énergie » de la part de l’Assemblée Nationale (23/2/2017), le débat est déjà bien engagé.
Et si finalement la force de propositions positives pour l’énergie, l’économie et la croissance de l’Union Européenne provenait de la Commission ? Les sceptiques sont nombreux ! Nous nous proposons, sans prétendre à l’exhaustivité, de faire un état des lieux du contenu de ce paquet, des propositions présentées et du débat engagé.
Que contient ce paquet ?
L’ensemble de documents est disponible à l’adresse :
Au total il s’agit de 86 documents disponibles sur cette page (sans compter les traductions) représentant 37 textes de nature et d’importance très variables parmi lesquels figurent huit propositions législatives majeures, soumises à la procédure de codécision (Parlement européen et Conseil de l’Union), qui constituent le corps de ce quatrième paquet préparé par la Commission depuis 1996 :
- Règlement du Parlement et du Conseil sur le marché intérieur de l’électricité (refonte) ;
- Directive du Parlement européen et du Conseil concernant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (refonte) ;
- Règlement du Parlement et du Conseil instituant une Agence de l’Union européenne pour la coopération des régulateurs de l’énergie (refonte) ;
- Règlement sur la gestion des risques dans le secteur de l’électricité (nouveau) ;
- Directive sur l’efficacité énergétique (refonte) ;
- Directive sur la performance énergétique des bâtiments (refonte) ;
- Directive sur les énergies renouvelables (refonte) ;
- Règlement sur la gouvernance de l’Union de l’énergie (nouveau).
(Les documents indiqués en caractères gras devraient plus particulièrement concerner nos lecteurs)
Résumons les principales mesures
(Ce résumé ne peut prétendre à l’exhaustivité)
- Les énergies renouvelables
- Les buts sont, pour 2030 : part des renouvelables dans l’énergie 27% (globalement au niveau de l’UE), part des renouvelables dans l’électricité 50%.
- Généralisation des appels d’offre et compléments de rémunération.
- Mise en place d’appels d’offre techniquement neutres.
- En ce qui concerne le chauffage (et le froid), promotion des politiques visant à augmenter d’1% par an la part des renouvelables et à ouvrir, sous condition, l’accès des réseaux aux producteurs d’énergies renouvelables.
- Limitation des biocarburants première génération.
- Plus de cohérence est apportée au système des garanties d’origine : il est étendu aussi à l’électricité non renouvelable (nucléaire, cogénération…) ainsi qu’au gaz.
- Promotion de l’auto consommation.
- L’efficacité énergétique
- Le but est une réduction de la consommation de 30% (soit 15% sur la période 2020-2030). Nous notons que les industries soumises à l’ETS peuvent être exclues du calcul ainsi que de l’auto consommation d’énergie renouvelable.
- L’organisation du marché de l’électricité : New market design
- Priorité est donnée au consommateur et au marché intérieur.
- Les principales nouveautés porteront principalement sur :
- Renforcement des marchés courts terme
- Elimination du prix plafond
- Renforcement des règles de dispatching basé sur le marché
- Renforcement du rôle de la demande (effacements)
- Disparition des tarifs régulés et sociaux
- Obligation d’offres dynamiques
- Restriction du rôle des réseaux dans le stockage
- Ce projet, même s’il réaffirme sa confiance dans le marché (energy only) pour ce qui concerne la sécurité d’approvisionnement, reconnaît la possibilité de mécanisme de capacité. Cependant ces mécanismes seront fortement encadrés et devront prendre en compte les disponibilités transfrontalières et justifier de leur nécessité (analyse régionale de sécurité) afin d’être considérées compatibles avec les lignes directrices concernant les aides d’Etat
- La création de centres opérationnels régionaux : ROC pour les gestionnaires de réseaux
- Renforcement de la régulation au niveau supra national (Nouvelles prérogatives données à l’ACER)
Où le débat se cristallise-t-il ?
Avec la Commission qui affirme avancer rapidement sur ce paquet (le Vice-président chargé de l’Union de l’Energie, Maros Sefcovic, a annoncé le 1er février qu’il prévoyait que la procédure législative aurait été lancée sur l’ensemble des textes d’ici la fin de l’année 2017) les acteurs n’ont pas tardé à cristalliser le débat sur un certain nombre de points :
- Une tendance intrusive qui bouscule parfois les principes de subsidiarité et de proportionnalité
- Remise en cause possible du mécanisme de capacité (Sénat, Assemblée Nationale, UFE)
- Modification substantielle des compétences de l’ACER : Un glissement non-dit et non justifié vers l’instauration d’un régulateur européen (Assemblée Nationale)
- Création de Centres Opérationnels Régionaux (ROC), remise en cause du principe de subsidiarité (RTE, Assemblée Nationale, UFE)
- Disparition programmée des tarifs régulés et sociaux (Assemblée Nationale)
- Non reconnaissance du nucléaire comme technologie contribuant à la décarbonisation de l’électricité (Sénat)
- Non mention d’un prix plancher CO2 ou de taxe carbone (RTE, Sénat)
- Remise en cause de la rémunération des fournisseurs par les opérateurs d’effacement (CRE, Assemblée Nationale)
- Limitation trop stricte du stockage (RTE, Assemblée Nationale)
- Promotion de la neutralité technologique pour les renouvelables (Syndicat des Energies Renouvelable, DGEC, RTE)
- Plafond pour les biocarburants de première génération (Syndicat des Energies Renouvelables, acteurs de la filière comme le groupe Avril)
Il est évidemment trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur ces propositions, aussi souhaitons nous en guise de conclusion provisoire paraphraser la Commission des Affaires Européennes de l’Assemblée Nationale dans son rapport du 23 février 2017 :
« Propositions globalement positives mais parfois intrusives » et « donc suivre avec vigilance » !
Philippe Boulanger