Depuis quelques semaines, nous avons en France un Président « flambant neuf ». Plus récemment encore, le président Macron a obtenu une majorité parlementaire, également débutante dans l’exercice (415 députés siègent pour la première fois à l’Assemblée nationale). Cette situation singulière d’un soutien législatif massif sans passif offre une occasion unique à la présidence d’opérer un virage vers la modernité pour la France. D’autre part, notre nouveau Président se déclare ouvertement pro-européen. Cette qualité, qui n’abonde pas de nos jours, devrait permettre à la France de gagner en capacité d’influence en Europe, à partir du moment où les choses se font correctement et que l’on ne nage pas à contre-courant.
Même si cela est applicable à tous les domaines de la politique, nous nous centrerons dans notre éditorial sur la politique énergétique. Et la France, dans ce domaine, a bien besoin d’un changement.
A ce stade, j’aimerais rappeler certains faits pour mettre le lecteur dans l’ambiance. Depuis la première directive «dite du marché intérieur de l’électricité » (de 1996), la France suit le modèle de libéralisation sans grand enthousiasme. Le système français de monopole d’Etat avait démontré ses qualités (indépendance énergétique, qualité de service, prix stables et relativement bas), pourquoi en changer ? Que faire des monopoles d’EdF et GdF dans ce nouveau contexte ? La France décide de faire le minimum pour éviter un affrontement avec l’Europe, sans adhérer pleinement au nouveau modèle. Elle crée des organismes de contrôle (CRE, renforcement de l’Autorité de la concurrence) et les activités de la chaine de valeur électrique se séparent, donnant lieu à de nouvelles entreprises (RTE ; ERdF). En application de Directives européennes successives, la France ouvre à la concurrence la fourniture des consommateurs finals. Du côté de l’offre, la décision française fut d’éviter tout démantèlement réel d’EDF. Seules les importations et les nouvelles capacités de production permettaient l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché de l’électricité. EdF demeure l’acteur dominant et, du point de vue de Bruxelles, une anomalie au marché libre. On pourrait faire un récit similaire pour le secteur du gaz avec Gdf comme principal protagoniste.
Durant ces années, l’Etat français ne se résigne pas à tenir un simple rôle de planificateur et de contrôleur du bon fonctionnement du marché. Il suit avec inquiétude les augmentations du prix de l’électricité, intervenant à chaque fois qu’il l’estime nécessaire, en créant, année après année, de nouveaux outils d’intervention aux noms imprononçables : TARTAM ; ARENH, Exceltium ; traitement spécial réservé aux électro-intensifs, gazo-intensifs et même aux hyper gazo-intensifs ; tarif de précarité, etc. Ironie du fonctionnement des marchés, l’Etat se préoccupe désormais de la baisse des prix, principalement en raison de son effet sur les comptes d’EDF, en voulant créer une taxe carbone sur la production d’électricité qui aura pour effet de faire remonter les prix.
Pendant tout ce temps, Bruxelles interprète les décisions françaises comme interventionnistes, déviant des objectifs du marché unique et toujours en faveur des intérêts des entreprises étatiques (Edf et Gdf/Engie). Si Paris veut maintenir les tarifs réglementés pour protéger théoriquement les consommateurs (de la libéralisation), Bruxelles le voit comme une protection des revenus d’Edf. Si Paris propose un mécanisme de capacité, la Commission le conçoit comme une aide de l’Etat (principalement à Edf) et ouvre une enquête approfondie. Si la France propose un prix minimum au CO2 (pour renforcer les EUTS) la Commission y voit une fois de plus un avantage pour le géant nucléaire…
Ce nouveau gouvernement, sans héritage trop apparent du passé, a la possibilité de changer les choses et de gagner la confiance de l’Europe. Pour cela, il devra finalement permettre la libéralisation de l’énergie, et plus concrètement du secteur électrique. D’abord et avant tout, la France doit accepter le dogme de la libéralisation : mettre fin à l’intervention dans le marché électrique, respecter et faire respecter les principes de la concurrence. C’est la seule façon de reconquérir le prestige perdu et de pouvoir ainsi influencer la politique énergétique européenne en y introduisant le bon sens français.
Nous pourrons constater dans les prochains mois si la Présidence Macron fait acte de contrition et change la tendance des 20 dernières années d’affrontement avec Bruxelles. Pour cette nouvelle phase de la politique énergétique française, il serait essentiel que l’Etat accepte son rôle de de planificateur, régulateur et contrôleur de la concurrence, en laissant les forces du marché s’organiser à leur guise.
Quelques exemples de décisions devant être prises dans les prochaines semaines/mois, ayant un impact significatif pour l’avenir du secteur :
- Evolution de l’ARENH (voir L’ARENH en question) : d’un point de vue purement économique, cela n’a aucun sens d’obliger Edf à vendre son énergie nucléaire en dessous de son coût (complet). Un coût du nucléaire qui n’inclut pas de rétribution de l’investisseur ni de coût de renouvellement est définitivement incomplet. Les résultats d’Edf se ressentent de cette anomalie et les actionnaires en souffrent. Par conséquent, le calcul du prix de l’ARENH et la clause de symétrie devraient être corrigés. Cela entraînerait certainement une augmentation des tarifs réglementés et, au vu des prix de gros actuels, une perte d’une part de marché d’Edf. En contrepartie, Edf rééquilibrerait ses comptes (à travers les tarifs réglementés ou avec le paiement de capacité).
- Prix plancher du carbone : l’idée est intéressante, un prix minimum du CO2 au niveau de l’Europe continentale pourrait aider à limiter les émissions de CO2. Par contre, si ce prix plancher ne s’applique qu’aux entreprises françaises, les résultats seront désastreux : fermeture des centrales thermiques françaises et importation d’électricité produite par des centrales thermiques étrangères sans aucun effet climatique de réduction des émissions. Bien que cela nous semble incroyable, Edf revient à la charge avec cette mesure absurde (peut-être est-ce un indice de sa situation délicate). Le Gouvernement devrait dans tous les cas éviter un prix plancher du carbone unilatéral français.
- Le nucléaire en tant que technologie décarbonée : la France détient une partie de la solution au problème climatique : la production nucléaire. Paradoxalement, elle renonce à la défense de cette alternative climatique pour se lancer dans le courant majoritaire des énergies renouvelables. La Présidence précédente a fixé un objectif d’abaisser la production nucléaire à 50% de la production électrique en 2025 qui, de notre point de vue, n’est pas économiquement réalisable. La France devrait défendre sa singularité nucléaire comme support de la transition énergétique européenne.
- Renouvellement des concessions hydrauliques: c’est l’un des sujets où la DGComp Européenne éprouve le plus de frustration envers la France. Le processus de renouvellement a été lancé dès 2008 (Plan de relance de l’hydroélectricité) et en avril 2010 (annonce du calendrier de renouvellement). Faute de volonté politique, le retard au regard des dates d’échéance des concessions s’accumule. La situation est au point mort depuis 10 ans. L’état français se discrédite vis-à-vis de Bruxelles (mise en demeure de la Commission européenne en cours) et perd en même temps des revenus attractifs (redevances). La France devrait amorcer immédiatement le processus de renouvellement des concessions hydrauliques.
Pour finir, je ne voulais pas conclure cet éditorial sans évoquer deux sujets qui, même s’ils ne sont pas de l’importance des précédents, seront révélateurs de la disposition du gouvernement à bien faire les choses :
- Nouvelle réglementation de l’accès des tiers aux stockages de gaz naturel (ATS) (voir Stockage de gaz : Ou en est-on?) : sujet plus que sensible pour Engie. La réglementation actuelle, très favorable à l’opérateur Storengy, n’est pas supportable pour les acteurs. La rébellion des fournisseurs a créé une situation inédite : nous pourrions arriver en hiver sans stocks de sécurité pour les clients protégés. Espérons que le gouvernement protègera vraiment les clients et non plus l’opérateur du stockage de gaz. Il faudrait que cette réforme de l’ATS soit rapidement remise sur les rails, car le pire serait qu’elle revienne sur le devant de la scène à cause d’une crise d’approvisionnement en gaz pendant un hiver froid, situation que nous avons déjà frôlée l’an dernier.
- Effacement « gris » : bon exemple d’une mauvaise interprétation des objectifs et des moyens. L’efficacité énergétique est le meilleur moyen pour atteindre les objectifs climatiques, la gestion de la demande (« demand response ») étant l’un de ses instruments. Par contre, subventionner la production des groupes électrogènes polluants situés dans les installations des consommateurs (effacement gris) qui ne fournissent qu’un mirage de Demand Response, est irresponsable. Le gouvernement devrait déclasser l’effacement gris des cadres incitatifs de gestion de la demande.
Les décisions qui seront prises marqueront les esprits à Bruxelles et seront probablement fondatrices de la future transition énergétique française. Bonne chance au nouveau Président et à son Gouvernement.