Nouvelle tendance : votre facture d’électricité financée par la dette publique

C’est encore la France qui, par son inventivité fiscale, est à l’origine de cette tendance. Au 1er janvier 2016, la CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité) était remplacée par la TICFE (Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Electricité). Beaucoup se disent alors que c’est « bonnet blanc et blanc bonnet », mais c’était là négliger une particularité importante de la TICFE : elle n’augmente pas, elle ! Et ceci, même quand les charges de service public augmentent de plus de 40% entre 2016 et 2021.

Aujourd’hui, avec la réforme de l’EEG, nous assistons à un véritable changement d’échelle : le 15 octobre dernier, la Bundesnetzagentur a annoncé cette bonne nouvelle aux consommateurs allemands : la contribution EEG (EEG Umlage) pour 2021 baisse à 65 €/MWh. Autre conséquence de cette annonce : le budget fédéral contribuera à hauteur de 10,8Mds€ au développement renouvelable (cette contribution représente à elle seule près de 2 fois le soutien français au développement des ENR en France).

Encore la faute au Covid ?

Avant d’analyser plus en avant la portée de ces annonces, nous vous proposons de revenir sur l’historique des évolutions respectives de la CSPE-TICFE et EEG Umlage depuis leur création (2000 en Allemagne, 2002 France)

Nous représentons ces évolutions sur le même graphique comme approximation du coût du soutien aux énergies renouvelables, alors qu’en Allemagne il conviendrait d’y ajouter la contribution spéciale pour l’éolien offshore (+4,16€/MWh) et qu’en France le soutien aux énergies renouvelables ne représente qu’environ 60% des charges de service public considérées dans la CSPE.

Cette stabilité relative constatée ces dernières années traduit-elle vraiment une inflexion du coût du soutien aux énergies renouvelables ?

En France la réponse est clairement non : et la PPE prévoit même une augmentation de ces coûts de plus de 30% pour culminer au-delà de 8Mrds€ en 2025. Autrefois « Contribution », la CSPE est devenue une « taxe » : la TICFE, fixée par les lois de finances (la taxe carbone devait compléter l’équilibre budgétaire, mais son évolution a été mise à l’arrêt depuis la crise des gilets jaunes).

Il est intéressant de noter que la Commission de Régulation de l’Energie, qui était chargée de déterminer le montant de cette CSPE – Contribution du Service Publique de l’Electricité – en fonctions des charges à couvrir, continue à se livrer à l’exercice du calcul de la CSPE… mais cet acronyme a désormais une nouvelle signification : CSPE = CHARGE de Service Publique de l’Energie !

Revenons au cas Allemand. L’idée de la nouvelle loi sur les énergies renouvelables (EEG, qui a été approuvée par le cabinet mais pas encore en votée) est similaire à l’idée française mise en place par la France en 2016 : la contribution est transformée en une taxe qui n’est plus affectée à une dépense dédiée (la France avait mis en place dans un premier temps un « Compte d’Affectation Spécial ») l’équilibre budgétaire devant être assuré par les futures recettes de la nouvelle taxe CO2 qui est instaurée dans cette même loi.

Ainsi c’est sans attendre que cette loi soit en vigueur que la Bundesnetzagentur, conjointement avec le ministère de l’économie, a fixé le montant au niveau prévu par la loi – 65€/MWh – en laissant le budget fédéral subventionner cette contribution (elle n’est pas encore transformée en taxe) à hauteur de près de 11 Mrds €.

Sans cette aide, le montant de la surcharge et donc celui des prix de l’électricité aurait atteint 96,51 c€/MWh pour 2021, marquant ainsi une nouvelle nette inflexion à la hausse de l’EEG Umlage.

Dans sa communication, le Ministère de l’Industrie impute clairement la responsabilité de ce dérapage à la crise sanitaire que nous traversons :

Cette évolution du coût de financement des énergies renouvelables est donc mise sous le compte de la crise du coronavirus qui a pesé sur la demande et sur les prix de gros (la production renouvelable n’ayant pas été affectée par la crise), et l’argent nécessaire proviendra du « Corona-Konjunkturpaket » et ses 130 Mrds € qui, comme les 100 Mrds € du plan « France Relance », sont largement financés par la dette d’État.

Quelles évolutions pour le futur ?

La France prévoit, dans sa Programmation Pluriannuelle (PPE), que la compétitivité des énergies renouvelables entrainera une baisse très importante des besoins de soutien à ces énergies : moins de 4 Mrds€ en 2035. L’Allemagne est quant à elle confiante que la nouvelle loi EEG ouvre le chemin vers une ère post mécanisme de soutien, un « changement de paradigme ».

En fait, ce qui s’est passé cette année avec la crise du Covid 19, c’est une baisse de la demande et donc une baisse de la marginalité carbonée du mix électrique (la production éolienne, photovoltaïque et hydraulique ne connait pas de crise sanitaire). Avec les ambitions Française (PPE), Allemande (EEG 2020) et Européenne (Green Deal, révision des ambitions de la Directive sur les énergies renouvelables), ce que nous avons vécu n’est en fait qu’une anticipation de ce qui est prévu par ces politiques : baisse de la marginalité carbonée dans la formation des prix sur le marché.

Il nous semble que l’incapacité du marché « Energy Only » à rémunérer les coûts complets de la génération électrique soit une nouvelle fois largement sous-estimée. Par contre, ce que ne sous-estiment pas les politiques, même en Allemagne, c’est la difficulté d’afficher en toute transparence la charge des énergies renouvelables sur les factures d’électricité !

Philippe Boulanger