Cet été, j’ai passé mes vacances sur la côte, dans le sud de l’Espagne (chose que je recommande). À ma grande surprise, le deuxième sujet le plus important dans tous les bulletins d’information – après la COVID – était le prix de l’électricité sur le marché spot. Pour que les médias s’intéressent au marché quotidien de l’électricité, il faut que quelque chose de choquant se produise. Et c’est vrai, sur le marché à terme – qui est plus représentatif que le marché spot – le prix pour 2022 avait casi triplé (de 45 €/MWh à environ 120 €/MWh).
Chaque jour, les journalistes et les spécialistes invités aux discussions tentent d’expliquer les raisons de cette situation. Le gouvernement espagnol a décidé de prendre des mesures urgentes pour réduire l’impact de la hausse sur les consommateurs. Les Français ont augmenté le rabais énergétique. Le gouvernement allemand a réduit l’EEG. Un peu plus tard, l’Espagne a proposé d’inclure la réforme du marché de l’électricité dans l’agenda européen des six prochains mois. Alors que Bruno Lemaire (ministre de l’Économie du gouvernement français) parle d’un marché aberrant, les plus extrémistes vont jusqu’à proposer la nationalisation des compagnies d’électricité, qu’ils tiennent pour responsables de la situation.
Dans ce qui suit, nous tentons de mettre la lumière sur les causes de cette parfaite tempête.
La structure du tarif
Parlons du tarif de l’électricité pour des raisons sentimentales. Dans la plupart des pays de l’UE, il n’existe plus de tarif réglementé pour l’électricité. Les prix supportés par le consommateur final sont fixés par les fournisseurs qui intègrent les différents coûts dans des conditions concurrentielles. Mais puisque les médias parlent encore des tarifs de l’électricité, je vais faire de même.
Partons d’un principe de base : un bon tarif doit pouvoir couvrir l’intégralité des coûts du service à long terme. Pour faire simple, dans le cas de l’électricité, ces coûts peuvent être divisés en coûts de production, de réseau (transmission et distribution) et de commercialisation.
- Pour commencer, les coûts de réseau : c’est un monopole naturel – nous ne pouvons pas choisir notre distributeur – et ils sont réglementés dans la plupart des pays de l’UE. C’est-à-dire qu’ils sont décidés par l’autorité de régulation pour couvrir l’intégralité des coûts des entreprises de transport et de distribution. Cette partie du coût du service d’électricité est à proprement parler un tarif (en Espagne, on les appelle péages, en France c’est le TURPE, en Allemagne le Netzentgelte). Leur évolution répond généralement à l’inflation moins quelque chose. Il semble évident que cette partie du tarif n’est pas responsable des récentes augmentations de prix.
- Les coûts de commercialisation couvrent l’activité du commercialisateur, y compris sa marge. Dans des conditions de concurrence, ces coûts sont faibles et stables. Encore une fois, ce n’est pas l’origine du problème.
- Il nous reste alors les coûts de production. Il s’agit des frais destinés à couvrir les coûts de génération de l’électricité. Comme nous l’expliquerons plus tard, c’est cette composante du coût de l’électricité qui connait des moments d’agitation.
En règle générale, pas forcément très précise, un tiers de la facture des clients domestiques correspond aux coûts de production, le second tiers serait les coûts de réseau et de commercialisation. Le dernier tiers correspond à une nouvelle catégorie que nous n’avons pas encore abordée : les taxes et les » externalités « .
Oui, en plus des coûts du service lui-même, les taxes et les « externalités » sont également incluses dans notre facture. La facture d’électricité est une source de revenus très appréciée par le Trésor Public. Le consommateur paie religieusement à la fin du mois (sinon l’électricité est coupée) sans trop comprendre la facture. Ainsi, outre la TVA, une série d’autres concepts plus ou moins sui generis s’ajoutent progressivement à la facture, qui répondent à des politiques énergétiques ou simplement à une politique (aides aux énergies renouvelables, péréquation tarifaire, organismes de régulation, fonds de pension du personnel électrique, déficit tarifaire, moratoire nucléaire, etc.) À titre d’exemple, la facture d’électricité française comprend 23 €/MWh de TICFE, qui couvrent les coûts de la transition énergétique. Ce même concept est couvert par l’EEG en Allemagne, où un montant énorme de 65 €/MWh est payé, alors qu’en Espagne ce coût représenterait environ 44 €/MWh. Comme les « externalités » n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, la tendance dans la plupart des pays est de transférer les nouvelles « externalités » vers le budget de l’État (voir newsletter). Il faut donc en déduire que ces taxes et « externalités » ne sont pas non plus à l’origine de la hausse actuelle des factures d’électricité.
Passons maintenant à l’œil du cyclone, les coûts de production.
Le coût de production
La production d’électricité s’organise via des marchés et répond à un ordre de mérite dans lequel la centrale dont les coûts variables sont les moins élevés sera la première à être vendue. Les différentes sources de production (offres) seront empilées jusqu’à ce que la demande soit satisfaite. Le produit échangé étant le même, toute production échangée au même instant reçoit le même prix quelle que soit l’origine de la production. Ce mécanisme dit « paid as cleared » signifie que la centrale la plus chère parmi celles nécessaires pour couvrir la demande (centrale marginale) fixe le prix de chaque heure de production pour l’ensemble de la production mise aux enchères.
Il s’agit d’un élément important et d’une source de controverse : pourquoi payer le même prix pour un MWh produit par, disons, une centrale hydroélectrique et celui produit par une centrale à gaz ? La première a un coût variable proche de zéro tandis que la seconde dépend des prix du gaz et du CO2. En revanche, les coûts d’investissement d’une centrale hydroélectrique sont 10 à 20 fois plus élevés que ceux d’une turbine à gaz. Il est vrai que ce système de « paid as cleared » génère une marge plus élevée pour le producteur à un coût variable plus faible, ce qui n’est pas abusif si l’on tient compte du fait que cette augmentation doit être utilisée pour couvrir un investissement beaucoup plus élevé. Il semble donc légitime que la centrale hydroélectrique obtienne une marge plus élevée que la centrale à gaz sur ce marché. Cela dit, on peut aussi comprendre que le ministre Lemaire soit choqué que dans un pays comme la France, où 92% de la production est nucléaire et renouvelable, les prix de l’électricité répondent aux variations du coût des centrales, qui ne représentent que les 8% restants.
Nous pourrions ici nous lancer dans des discussions sur d’autres architectures de marché de l’électricité qui pourraient assurer une plus grande stabilité des prix, mais, pour ne pas nous perdre, nous laisserons cela pour une autre newsletter.
Pour en revenir à notre système de tarification marginale, nous avons maintenant atteint le point où nous pouvons expliquer pourquoi le coût de la production augmente de façon incontrôlée. Dans l’ordre de mérite dont nous avons parlé précédemment, les centrales thermiques sont les dernières nécessaires pour répondre à la demande. Elles consomment du gaz et émettent du CO2. Si le prix du gaz augmente de 1 €, l’offre de ces centrales augmente de 2 € (environ 2 unités de gaz sont nécessaires pour produire 1 unité d’électricité). Si le CO2 augmente de 1 €, le prix de l’électricité augmente de 0,3 € (environ 1 unité de CO2 est émise pour 3 unités d’électricité produites par une CCGT). Si, au lieu des CCGTs, la production est assurée par des turbines à combustion dont l’efficacité est bien moindre, la sensibilité aux sous-jacents sera encore plus grande.
Je suppose qu’à ce stade, le lecteur est peut-être un peu fatigué de chercher la cause de la cause, mais nous n’avons pas d’autre choix que d’examiner ces facteurs sous-jacents, le gaz et le CO2, qui sont à l’origine du problème.
- Pour comprendre l’augmentation du CO2, je vous invite à lire notre newsletter du mois dernier. Si les objectifs de réduction des émissions sont plus ambitieux, le prix du CO2 doit nécessairement augmenter pour donner le bon signal dans notre lutte contre les émissions. Après le passage à la dernière phase du marché ETS et les annonces du « fit for 55 », la conséquence a été une hausse fulgurante au cours de cette année dernière et une tendance à la hausse à moyen terme.
- La hausse du prix de gaz a d’autres causes. Tout d’abord, la pandémie a contracté la demande mondiale de gaz à des niveaux qui ont contraint à une réduction drastique de la production. La reprise économique post-covid, notamment en Asie, absorbe les disponibilités immédiates de gaz. Si l’on ajoute à cela un peu de géopolitique (la Russie faisant pression pour l’autorisation de Nordstream 2 ou les différends entre l’Algérie et le Maroc), il ne faut pas s’étonner des prix stratosphériques actuels en Europe dans le sillage des prix asiatiques. Hausse de +47 €/MWhPCS depuis l’année dernière mais nette tendance à la baisse à moyen terme.
Impact du projet de loi et mesures gouvernementales
L’impact sur la facture du client final variera fortement d’un pays à l’autre. Dans les pays où les clients sont totalement exposés au marché sans aucune protection, la facture finale pourrait augmenter d’environ 40%. Lorsque les tarifs réglementés sont encore en place, l’impact immédiat est plus modéré. Les régulateurs n’aiment pas les chocs et le coût de la production a généralement une certaine inertie. En France, en particulier, l’impact ne sera « que » de 12 %. En plus de la méthodologie de construction du tarif, l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) réduira l’impact de la hausse tant pour les clients tarifaires que pour ceux dérégulés qui bénéficient d’un approvisionnement à un prix avantageux de 42 €/MWh contre 120 €/MWh pour l’électricité à terme.
Ce n’est pas le cas en Espagne, où le tarif réglementé, le PVPC (prix volontaire pour les petits consommateurs), a été conçu pour dépendre à 100% du prix horaire du marché spot, sans aucune sorte de tampon. Actuellement, un consommateur domestique sur trois a contractualisé le PVPC, ce qui justifie l’impact social et médiatique des augmentations de l’électricité en Espagne.
Cependant, il ne faut pas oublier que la plupart des consommations d’électricité sont contractualisées à long terme (une ou plusieurs années) à des prix fixes sur des marchés à terme, de sorte que la crise actuelle des prix, tant qu’elle est temporaire et ne devient pas structurelle, touchera moins brutalement les consommateurs.
Dans tous les cas, tous les gouvernements annoncent des mesures immédiates pour réduire l’impact. La plupart d’entre eux décident de réduire temporairement la pression fiscale sur le tarif en réduisant les taxes et les « externalités ». Espérons que ces mesures deviendront permanentes. En parallèle, le débat sur l’architecture du marché s’ouvre au niveau européen. La mise en œuvre de tout changement pourrait prendre des années, ce qui n’aidera pas dans la crise actuelle.
Comme toujours, nous aimons conclure ces articles par une recommandation à nos clients : éviter de réagir de manière excessive à la crise actuelle. La situation du marché étant transitoire, il n’est pas conseillé de prendre des décisions permanentes. Traversez la tempête du mieux que vous pouvez et planifiez l’avenir de manière solide. En particulier, nous recommandons de mettre en œuvre des politiques visant à contrôler l’exposition à la volatilité sur le long terme. Bonne chance à tous !
Antonio Haya
Ps : à la date de publication de cet article, le prix de futurs d’électricité pour 2022 en Europe continentale frôle 145,9 €/MWh, le gaz (Peg) : 59,39 €/MWh, le gaz (TTF) : 59,15 €/MWh et le CO2 : 59,58 €/Tm.
La crise des prix s’accélère à un rythme vertigineux.