Le secteur énergétique allemand sous la nouvelle “GroKo”

Le 14 mars, la chancelière Angela Merkel a été réélue pour la quatrième fois, pour se trouver à la tête d’une nouvelle grande coalition (“Grosse Koalition” ou “GroKo”) composée du parti conservateur (CDU/CSU) dont elle fait partie ainsi que du Parti Social-Démocrate (SPD). Après quatre mois de coalitions et négociations, le nouveau gouvernement allemand admet qu’il n’atteindra pas ses cibles climatiques d’ici 2020, mais d’ambitieux objectifs climatiques ont néanmoins été fixés.

Les résolutions relatives au climat, à l’énergie et au transport mises en place dans le traité de cette nouvelle coalition reconnaissent les défis posés par le projet de transition énergétique de l’Allemagne, mais manquent d’instruments et de mesures concrets. Contrairement à l’expansion du secteur des énergies renouvelables, d’autres domaines comme le prix du CO2, la sortie du charbon, et l’expansion du réseau électrique manquent de propositions concrètes et devront être développés durant la période législative.

Le nouveau gouvernement de coalition semble savoir où se trouvent les difficultés dans le système énergétique allemand, mais continue d’éviter de prendre d’importantes décisions. Des commissions aux buts mal définis et des promesses au long terme cachent un certain manque d’aplomb du traité de coalition.

Examinons à présent quelques uns des points les plus importants du traité de coalition qui affectent directement les secteurs allemands du gaz et de l’électricité :

PROTECTION DU CLIMAT

 Émissions

  • Implémentation complète du Programme d’Action Climatique 2020, ainsi que du Programme d’Action Climatique 2050
  • Cible nationale de réduction des émissions de 40% par rapport aux niveaux de 1990 remplacée par une baisse “aussi importante que possible” des émissions.
  • Atteinte de la cible 2030 de réduction des émissions de 55% imposée par accords internationaux “par tous les moyens”.
  • Introduction d’une loi en 2019 rendant juridiquement contraignante la réduction des émissions dans certains secteurs et zones spécifiques.

Malgré l’augmentation de la production d’énergie renouvelable en 2017 (36.1% d’après les données préliminaires), les niveaux d’émissions de GES demeurent décevants : les émissions de CO2 ont stagné au même niveau (environ 27%) pour la troisième année consécutive au lieu de baisser comme initialement prévu. Bien que les émissions dans le secteur de l’électricité aient légèrement baissé, l’une des énergies primaires les plus émettrices de CO2, le lignite, demeure amplement utilisée. Si le nouveau gouvernement ne réagit pas rapidement, l’Allemagne court le risque de dramatiquement manquer sa cible de réduction des GES de 55% d’ici 2030.

Avec une Loi de Protection du Climat qui, selon l’accord de coalition, devrait être adoptée en 2019, l’Allemagne créera finalement un véritable cadre juridique. Une telle loi entérinera explicitement la protection climatique dans la juridiction allemande et sera sans doute un développement positif. Jusqu’à présent, l’Allemagne a mis en œuvre des mesures et cibles individuelles sans jamais les établir dans une loi qui s’imposerait aux gouvernements successifs. Cela dit, et bien que l’idée d’introduire une Loi sur la Protection du Climat semble positive, sa publication sera sans effet si elle n’est pas soutenue par les outils nécessaires à l’atteinte des cibles climatiques.

Sortie du charbon

  • Une commission spéciale sur “la croissance, les changements économiques structurels et l’emploi” sera nommée, composée de législateurs, de représentants de l’industrie, d’associations environnementales et de syndicats, ayant pour mission de rédiger d’ici fin 2018 un programme d’action qui devra inclure :
    • des mesures réduisant “autant que possible” l’écart avec la cible 2020 et rendant “plausible d’atteindre” la cible 2030 du secteur de l’énergie;
    • un plan “de réduction graduelle et de sortie de la production d’énergie au charbon, comprenant une date de fin et accompagnée de toutes les mesures légales, économiques, sociales et structurelles nécessaires” ;
    • les aides financières nécessaires aux changements d’infrastructures dans les régions affectées.
  • Les conclusions de la commission influenceront directement les lois d’action pour le climat.

La stagnation des émissions de CO2 de l’Allemagne en 2017 démontre ce qui est évident depuis longtemps : sans un programme de sortie du charbon, l’Allemagne ne fera aucun progrès en matière de protection du climat. L’utilisation de centrales au lignite, les plus polluantes du parc de centrales électriques, devrait être immédiatement restreinte. Actuellement, 25GW de capacité de production au charbon demeurent opérationnels en Allemagne et continuent d’occuper une large proportion du mix énergétique (40%).

Un consensus social concernant le futur de la génération d’énergie au charbon est essentiel afin d’assurer le succès de la transition énergétique et d’atteindre les cibles de protection climatique de 2020 et 2030. Cependant, attribuer la tâche difficile de la sortie du charbon à une commission externe ne semble pas être la meilleure idée, et démontre que le nouveau gouvernement de coalition évite de prendre toute responsabilité directe en matière de protection climatique.

L’établissement, courant 2018, d’une date de sortie du charbon est une étape essentielle pour le succès de la politique climatique allemande. Cependant, reste à voir quelle date sera choisie. 2025 à 2030 serait compatible avec l’Accord de Paris, mais une date ultérieure ne le serait pas à moins que d’autres mesures de réduction des émissions de CO2 ne soient mises en place en parallèle – le SEQE-UE (système de quotas C02) est censé rendre la production au charbon non rentable, mais son signal-prix demeure trop faible. La fermeture pure et simple des 20 plus anciennes centrales au charbon d’ici 2020 suffirait à atteindre plus de la moitié de la cible climatique 2020 de l’Allemagne. Plusieurs études de ce cas de figure estiment que la stabilité de la production ne serait pas menacée, en dépit de la sortie parallèle du nucléaire. La sortie du charbon peut être compensée par la réduction des exports et le relancement de centrales à gaz sous-utilisées (qui émettent moitié moins de CO2 par kWh mais sont plus coûteuses à faire fonctionner), même dans le cas de conditions défavorables supplémentaires (telles qu’un manque de soleil et de vent).

 Prix du CO2 / SEQE

  • Renforcement du rôle du système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-EU) comme principe directeur du marché du CO2, et établissement d’un système “à portée globale et comprenant au minimum les états-membres du G20”.
  • Partenariat avec la France pour une coopération rapprochée visant à appliquer l’Accord de Paris sur le Climat et les engagements pris au sommet One Planet 2017.

Malgré le renforcement sur le long terme des cibles de réduction des émissions, la formulation utilisée dans le traité de coalition est plutôt vague, se contentant de quelques références au Traité de l’Élysée. Un prix du carbone additionnel sera requis afin d’atteindre les cibles définies, un prix aux signaux clairs : encourager l’investissement dans des actifs respectant le climat, en accord avec la Transition Énergétique, et dissuader les investissements dans des modèles économiques peu viables. On ne peut qu’espérer que l’Allemagne fera face à cette question en coopération avec la France pendant la prochaine révision du Traité de l’Élysée.

Une étude récemment publiée par Agora Energiewende et Iddri appelle à un accord politique entre la France et l’Allemagne dans le domaine de la production énergétique :

  • Alors que les énergies renouvelables gagnent en importance, les deux pays font face aux mêmes défis de restructuration de leurs parcs énergétiques historiques.
  • En France, la cible de développement des énergies renouvelables (40%) combinée au réinvestissement dans un parc nucléaire de plus de 50 MW pose un risque élevé de coûts transférés dans le secteur de l’électricité.
  • En Allemagne, atteindre les cibles climatiques requerrait une réduction de 50% de la génération d’énergie au charbon.
  • L’étude conclut que la France et l’Allemagne se doivent de définir rapidement leurs stratégies nationales concernant leurs parcs énergétiques nucléaires et au charbon, de se consulter à propos des conséquences transfrontalières, et d’initier des actions communes pour la mise en œuvre de la Transition Énergétique, sous la forme de développement des énergies renouvelables, d’interconnections ou du marché du CO2

 ÉNERGIE

 Renouvelables

  • Continuer “l’expansion efficace et à objectifs concrets des sources d’énergie renouvelable synchronisée à la capacité du réseau et de plus en plus orientée vers les mécanismes du marché.
  • “Tenter d’atteindre une part de 65% de production renouvelable d’ici 2030.”
  • Mise en œuvre des “vente aux enchères spéciales” afin d’économiser 10 millions de tonnes de CO2 d’ici 2020 : 4 GW de parcs éoliens en mer, 4GW de solaire, et “une contribution à l’énergie éolienne en mer” divisée en quantités égales en 2019 et 2020, “pour peu que la capacité maximale du réseau soit suffisante.”

Si on garde à l’esprit qu’un plafond sur l’expansion des énergies renouvelables a été introduit durant le précédent cycle législatif, ces résolutions sont de bon augure. Cependant, atteindre une part de renouvelables de 65% d’ici 2030, ce qui équivaudrait à atteindre les cibles de 2040 dix ans en avance, est particulièrement ambitieux. Les conditions pratiques sont présentes, mais l’accord manque de détails sur la synchronisation adéquate entre la capacité du réseau électrique et l’expansion des énergies renouvelables.

Réseau électrique

  • Compilation d’un “plan ambitieux contenant les mesures nécessaires à l’optimisation des infrastructures du réseau actuel et à l’accélération de son expansion.”
  • Amélioration de la coopération entre gestionnaires du réseau afin d’utiliser plus efficacement les réseaux existants.
  • Encouragement à l’approbation de l’expansion du réseau et accélération de la construction par l’installation de câbles souterrains “dans les sites sensibles, si techniquement faisable.”

La transition énergétique pose un défi énorme pour le réseau de transmission d’électricité – avec l’arrivée rapide des renouvelables, les réseaux subissent une immense pression. Afin de transférer l’énergie générée dans le nord venteux de l’Allemagne jusqu’aux centres industriels des centaines de kilomètres plus au sud, la planification de deux lignes HTCC, SüdLink et SüdOstLink, – dont l’achèvement est prévu pour 2025 – est une partie importante de l’effort allemand de refonte de la capacité des réseaux afin de mieux gérer le nombre croissant de sources intermittentes d’énergie renouvelable. Ceci permettra d’éviter, d’un côté l’arrêt des éoliennes en périodes de surproduction énergétique, et de l’autre le recours aux centrales classiques lorsque l’énergie éolienne ne peut pas atteindre le sud.

Mais ce plan d’expansion du réseau ne se réalisera pas sans difficultés:

  • Les lignes de transmissions seront installées sous forme de câbles souterrains. Ce procédé est non seulement coûteux et particulièrement long, mais rencontre l’opposition de militants environnementaux et de propriétaires terriens. Ces derniers sont inquiets de la qualité de leurs terres et demandent déjà des dédommagements sur la durée plutôt que des indemnités ponctuelles, du fait de la nature permanente des bénéfices qui seront aquis par les sociétés de gestion des lignes.
  • Par conséquent, les coûts d’entretien du réseau, qui comptent pour environ 25% des factures d’électricité des ménages allemands, subira une augmentation significative.
  • Si le réseau n’était pas étendu suffisamment rapidement, l’Allemagne devrait à nouveau être divisée en zones tarifaires énergétiques, du fait de l’obligation des états membres de l’EU d’ouvrir progressivement leurs lignes transfrontalières au commerce énergétique avec les états voisins. Afin d’éviter une surcharge du réseau, les états peuvent choisir soit de subdiviser leur marché de l’énergie en régions dont les tarifs énergétiques diffèrent, soit d’étendre leur réseau. Le gouvernement fédéral allemand souhaite éviter un tel établissement de régions tarifaires.

L’Agence Fédérale des Réseaux allemande (BNetzA) affirme que les préparatifs continuent “comme prévu”, mais, au vu des arguments mis en évidence ci-dessus, il se pourrait que l’aboutissement du projet d’ici 2025 se trouve être une cible trop optimiste.

Gaz

  • Établissement d’infrastructures GNL en Allemagne.

Une nouvelle particulièrement positive. Actuellement, l’Allemagne importe environ 93% du gaz qu’elle consomme (100% d’ici la prochaine décennie vu l’épuisement quasi total des champs gaziers du pays.) Ces imports sont effectués exclusivement via pipeline, principalement depuis la Russie, la Norvège et les Pays-Bas.

Depuis de nombreuses années, des projets d’installation d’un terminal GNL en Allemagne sont en développement, sans qu’aucun d’eux n’aboutisse. Mais entre la sortie du nucléaire, le futur incertain du charbon et les imports néerlandais en baisse, l’Allemagne doit rechercher d’autres moyens de diversifier ses imports de gaz naturel – et de réduire le risque de dépendance auquel elle est exposée – d’où le renouveau d’intérêt envers le GNL.

En janvier 2018, après approbation antitrust de l’UE, un appel d’offres de marché est lancé par une coentreprise entre Gasunie, Oiltanking et Vopak pour le développement d’un terminal de taille moyenne près de Hambourg. Selon l’aboutissement de cet appel d’offre, le début de la construction du premier terminal GNL allemand est envisagé pour 2019, pour être opérationnel au quatrième trimestre 2022.

Après analyse des aspects énergétiques et de protection du climat du nouveau traité de coalition, on peut conclure que:

  1. L’Allemagne a officiellement abandonné son rôle de défenseur du climat sur la scène internationale. Ayant été incapable d’atteindre sa cible climatique de 2020, la crédibilité de l’Allemagne dans ce domaine est ébranlée, et, par conséquent, la base même de la politique climatique internationale telle qu’établie par l’Accord de Paris.
  2. Bien qu’ayant recherché l’adoption d’une loi sur la protection du climat, et établi une date de sortie du charbon ainsi qu’un déploiement plus rapide des énergies renouvelables, la série de propositions manque de mesures concrètes sur le prix du CO2, sur la coordination entre développement des énergies renouvelables et expansion du réseau de transmission, et sur la durée de vie restante des centrales à charbon, entre autres. Il n’y a aucun doute que ces facteurs représentent un nouveau risque pour l’Energiewende.
  3. Enfin, si un pays tel que l’Allemagne, dont le rôle éminent sur la scène diplomatique internationale pour le climat a rendu possible l’Accord de Paris, est incapable de tenir ses engagements de longue date, qui en sera capable ? On craint que d’autres gouvernements ne revoient leurs cibles à la baisse au dernier moment, utilisant pour référence le “précédent” allemand. Les dégâts potentiels sur le climat pourraient donc être bien plus importants que la nouvelle coalition ne souhaite l’admettre. Par conséquent, et en vue des nouveaux défis communs auxquels elles font face pour atteindre leurs cibles de transition énergétique, espérons que la France et l’Allemagne sauront, au plus tôt, trouver un accord sur une série de mesures énergétiques et de protection du climat que d’autres pays pourront suivre.

 

Micaela Sternhagen