L’énergie nucléaire est-elle finalement verte ?

Fin 2023, lors de la COP28, un accord historique a été conclu afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ; il est nécessaire de « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable (…) ». Pour la première fois dans l’histoire des sommets mondiaux de l’action pour le climat, l’objectif de mettre fin aux combustibles fossiles est inclus dans un texte final. Cela est d’autant plus remarquable que la COP28 a eu lieu à Dubaï (un puissant État pétrolier). L’horizon énergétique qui se dessine est alors intensément « vert ».

Les voies sont multiples pour atteindre cet objectif ; allant des changements d’habitudes des citoyens à l’efficacité énergétique, en passant par les changements technologiques, l’électrification des usages et, bien sûr, la décarbonisation de l’électricité. Si nous nous centrons sur ce dernier point, les énergies renouvelables –électricité produite à partir de sources naturelles telles que le vent, le soleil, la biomasse, etc – acquièrent une importance croissante.

Ces sources renouvelables représentent le meilleur moyen de minimiser l’impact négatif à long terme des émissions de CO₂ sur l’environnement et constituent une des solutions pour l’objectif NetZero 2050. Cependant, notre niveau technologique actuel ne nous permet pas de disposer de sources renouvelables suffisamment continues (l’énergie solaire ou éolienne est par principe intermittente) ou puissantes pour fournir 100 % de l’électricité demandée. D’autant plus, lorsque l’on considère que la demande d’électricité augmentera avec le transfert continu de d’autres usages énergétiques vers l’électricité.

L’énergie nucléaire utilisée pour la production d’électricité est continue et pilotable et elle n’émet pas de CO₂. L’énergie nucléaire peut-elle être dénommée énergie verte ? Cet article propose d’explorer le rôle de l’énergie nucléaire dans l’avenir énergétique.

Classement des sources d’énergie par émissions de gaz à effet de serre – Source : Our world in data

Le processus de fission – la division en chaîne des noyaux d’atomes en deux atomes ou en atomes plus petits – est la réaction qui permet de libérer de l’énergie thermique. Transformée, celle-ci devient de l’énergie mécanique, elle-même convertie en énergie électrique. Le fonctionnement des centrales nucléaires est analogue à celui des centrales thermiques conventionnelles (gaz, charbon ou fioul), à l’exception du combustible utilisé et des très faibles émissions de CO₂ dans le cas des centrales nucléaires. Sur cet aspect, tout va bien. Mais, il ne faut pas oublier les problèmes inhérents à cette technologie : coûts d’investissement très élevés, risques liés aux accidents d’exploitation (radiations incontrôlées) et traitement des déchets nucléaires radioactifs.

Principaux problèmes liés à l’énergie nucléaire

Tout au long de l’histoire de l’énergie nucléaire, le développement de l’utilisation civile a été associé au développement de l’armement nucléaire. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (1970) a été signé pour soutenir le développement de la technologie des réacteurs nucléaires sans développer la technologie des armes nucléaires. Cependant, nous pouvons constater que les efforts de non-prolifération ont échoué puisque cinq pays ont créé la bombe nucléaire en utilisant la technologie et les matériaux dérivés des centrales nucléaires.

En termes financiers, la construction de centrales nucléaires représente un investissement important : les coûts oscillent de 4 à 6 milliards d’euros selon la Société Nucléaire Espagnole. La variation est due à la gestion du projet, la réglementation, la localisation du site, la conception de la centrale… Et à cela, il faut ajouter les délais de construction et les retards de calendrier qui impactent considérablement l’investissement initial, comme c’est le cas actuellement avec les nouveaux EPR. Ce réacteur européen à eau pressurisée (EPR) de 3ème génération est généralement d’une puissance de 1600 MW. Il s’agit d’une conception évolutive qui assure la continuité dans le domaine de la technologie EPR, tout en minimisant les risques. Il est doté de systèmes robustes de contrôle des accidents et d’une sécurité radioactive accrue pour les travailleurs. Cependant, les premières expériences de construction des ces EPR sont mitigées car elles ont été très coûteuses ! En France, l’EPR de Flamanville est en construction depuis 2007, avec un surcoût 5 fois supérieur au coût initial et un retard de 12 ans pour la mise en service…

Durée prévue des travaux à Flamanville et évolution du coût, à une date précise – Source : Le Monde

Le combustible nucléaire utilisé est extrêmement radioactif et difficile à gérer car les déchets ne perdent leurs effets nocifs qu’après des dizaines de milliers d’années. Bien que le combustible utilisé d’une usine d’uranium traditionnelle puisse être retraité pour créer du combustible au plutonium raffiné, il n’y a pas d’usine de plutonium en activité. L’autre solution consiste à enfouir les déchets. Toutefois, il est difficile, d’une part, de trouver un endroit pour stocker en toute sécurité (pendant au moins 5 000 ans) des déchets aussi radioactifs et nocifs. D’autre part, les gouvernements ne semblent pas prendre suffisamment au sérieux la recherche de solutions à ce problème en raison des investissements élevés nécessaires à la construction de telles infrastructures. En tout état de cause, l’industrie nucléaire affirme que tant que les déchets hautement radioactifs sont confinés et contrôlés, il n’est pas nécessaire de disposer d’une solution définitive, qui arrivera à un moment donné.

Depuis près de 70 ans d’utilisation de l’énergie nucléaire, il y a eu au total 33 accidents graves de réacteurs nucléaires dans le monde, bien que seulement 2 d’entre eux aient été de niveau 7 sur l’échelle INES. Ces deux accidents ont entraîné des rejets massifs de matières nucléaires (Tchernobyl et Fukushima). Il faut prendre en compte que, depuis, de nouvelles centrales nucléaires ont été construites pour atteindre un total de 422 réacteurs en service en 2023. On peut en conclure que, même si le risque n’est pas nul, il semblerait que les niveaux de sécurité du nucléaire soient assez élevés. Ce n’est pas pour autant un réconfort lorsque l’on observe les conséquences d’un accident nucléaire majeur. L’âge moyen du parc nucléaire en service aujourd’hui est de 35 ans, ce qui ne nous permet pas de nous sentir davantage en sécurité.

L’énergie nucléaire, une solution ?

Malgré ces inconvénients, la technologie nucléaire civile présente également des avantages. Elle assure la continuité de l’approvisionnement en énergie. Elle permet de diversifier l’origine de la source d’énergie primaire – le combustible nucléaire, contrairement au pétrole ou au gaz, se trouve dans de nombreux pays du monde -. Elle permet l’indépendance énergétique d’un pays. Et tout cela à un prix unitaire contenu (bien que dans les développements récents, en particulier des EPR, cela semble moins véridique).

Ainsi, de nombreux pays ont choisi d’inclure une forte composante nucléaire, par exemple, les États-Unis comptent 93 réacteurs nucléaires opérationnels et la Chine est à la tête de 55 réacteurs nucléaires. Le cas de la France est unique : son parc nucléaire assure 70 % de la production d’électricité (avec 56 réacteurs de génération II), ce qui en fait l’un des pays avec une électricité à faible émissions. D’autres pays l’intègrent dans des proportions plus ou moins homéopathiques : l’Espagne (20 %) ou le Royaume-Uni (15 %).

Ces pays investissent donc dans le développement à long terme de l’énergie nucléaire. En France, en février 2022, Macron a annoncé le plan nucléaire national : construction de 6 EPR2 et 8 supplémentaires, ainsi que la prolongation de la durée d’exploitation du parc actuel à 60 ans. En Chine, le gouvernement prévoit de construire 150 nouveaux réacteurs au cours des 15 prochaines années. Au Royaume-Uni, un objectif de 25 % d’électricité d’origine nucléaire d’ici 2050 a été fixé, contre 15 % aujourd’hui. L’Agence internationale de l’énergie atomique prévoit, dans l’hypothèse la plus optimiste, que la capacité de production d’électricité nucléaire « augmentera d’environ 24 % d’ici à 2030 et d’environ 140 % d’ici à 2050 par rapport à la capacité de 2022« [1] .

Technologies alternatives

Le secteur dispose de percées potentielles dans les nouvelles technologies : SMR (Small Modular Reactor) et EPR (European Pressurised Water Reactor). L’avenir de l’énergie nucléaire dépend dans une large mesure de ces technologies qui pourraient jouer un rôle central dans l’horizon énergétique des prochaines années.

Un petit réacteur modulaire (SMR) est un réacteur nucléaire à fission dont la capacité de production d’électricité est inférieure à 300 mégawatts. D’une taille comprise entre 1/3 et 1/4 de celle d’une centrale nucléaire traditionnelle, les SMR se caractérisent par une conception compacte et simplifiée et des dispositifs de sécurité avancés. Des projets commerciaux de SMR existent déjà, comme celui de NuScale, qui a été approuvé par la commission de régulation américaine. Les SMR présentent l’avantage considérable de pouvoir être combinés avec des énergies renouvelables et d’accroître leur efficacité dans le cadre d’un système énergétique hybride. La compétitivité économique et la sécurité de cette technologie devront être testées dans la pratique.

 

Taille d’un SMR par rapport à une centrale nucléaire traditionnelle – Source : Idaho National Laboratory

L’objectif actuel est d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Aucune source d’énergie n’est verte à 100 %, mais l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables constituent une combinaison pour lutter contre le changement climatique et sortir des combustibles fossiles. L’énergie nucléaire suscite le débat : investissements, sécurité, traitement des déchets et armes nucléaires. Toutefois, les technologies récentes offrent de nouvelles possibilités en matière d’efficacité, d’hybridation et de contrôle des processus. L’énergie nucléaire est appelée à jouer son rôle dans cette période de transition.

Diego Marroquín & Céline Haya Sauvage

[1] AIEA, « Energy, Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2050 », 2023